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La coopération internationale du renseignement à l’épreuve du 13 novembre

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En visant des lieux festifs de Paris, les attentats du 13 novembre 2015 ont coûté la vie à 130 personnes. Les attentats de Paris restent dans les mémoires et font l’objet de commémorations depuis deux ans. Perpétrées par l’organisation Etat islamique, ces attaques sont les plus meurtrières commises en France depuis la Seconde Guerre mondiale. La coopération opérationnelle (surveillance des réseaux terroristes, attentats déjoués, arrestations préventives) relève de coopérations binationales et multilatérales entre les services de police et de renseignement des Etats. Le renforcement de la coopération internationale du renseignement revient au centre de l’attention car les attentats du 13 novembre ont pu être organisés après des mois de préparation. Pourquoi ce défaut de surveillance entre la France et les autres services européens ?

Gerbe déposée devant la salle de spectacle du Bataclan, le 13 novembre 2016.

L’importance d’une coopération internationale du renseignement face au jihadisme

 

Le renseignement est un processus dont le but est de collecter, d’analyser et de transmettre des informations importantes concernant la sécurité nationale.

Les structures de l’Elysée, à savoir la Coordination Nationale du Renseignement et de la Lutte contre le Terrorisme (CNRLT) et le Conseil National du Contre-Terrorisme (CNCT) coordonnent les six grands services de renseignement français : la Direction Générale de la Sécurité Extérieure (DGSE), la Direction Générale de la Sécurité Intérieure (DGSI), la Direction du Renseignement Militaire (DRM), la Direction du Renseignement et de la Sécurité de la Défense (DRSD), la Direction Nationale de Recherche et des Enquêtes Douanières (DNRED) et Tracfin.

La coopération européenne du renseignement a débuté dans les années 1980 sur la base d’un « euroterrorisme » pro-communiste, qui aurait regroupé Action Directe, la Fraction Armée Rouge allemande, les Cellules Communistes Combattantes belges et les Brigades Rouges italiennes. Cette forme d’action violente s’est progressivement atténuée. Avec les attentats du 11 septembre 2001, la coopération s’est renforcée pour lutter contre un autre terrorisme, désormais « global » : le terrorisme jihadiste. En témoigne par exemple la mise en place précipitée du mandat d’arrêt européen en 2002.

Parce qu’elle y a été confrontée plus tôt que les autres démocraties, la France est probablement celle qui a le moins mal pensé le défi terroriste avec la loi du 19 septembre 1986, qui permet la spécialisation des magistrats antiterroristes, la centralisation parisienne des poursuites et le rapprochement des activités de police judiciaire et de renseignement. Cela n’a pas pourtant pas suffi à prévenir le 13 novembre. Malgré tous les moyens mis en place, pourquoi les attentats du 13 novembre n’ont–ils pu être empêchés à temps ?

Le 13 novembre: révélateur d’une «faille» de la coopération internationale ?

Il faut souvent attendre un attentat pour que l’on assiste à un perfectionnement des moyens de surveillance. Les attentats de 2015 ont accéléré la coopération européenne contre l’aller-retour des jihadistes entre la France et la zone irako-syrienne. Le projet de l’exploitation par les services de police des données des dossiers passagers (Passenger Name Record ou « PNR » dont le but est de repérer les déplacements suspects), bloqué depuis 2011 au Parlement européen, a été adopté en avril 2016. Les attentats du 13 novembre pointent l’insuffisance de deux coopérations bilatérales, pour des raisons différentes : les coopérations franco-belge et franco-syrienne.

Les informations circulent difficilement et parfois trop tard entre les services des Etats européens tenus au secret-défense et qui, de plus, n’ont pas tous la même culture (entre la police, la justice, le renseignement militaire). Les agents sont également confrontés, dans la lutte contre le terrorisme, à un temps d’enquête plus court que lors de la Guerre Froide, où le contre-espionnage nécessitait alors une approche de long terme. Cet argument illustre l’échec de la coopération franco-belge dans le cadre de l’enquête sur Abdelhamid Abaaoud, cerveau des attentats de Paris.

La coopération du renseignement est aussi liée à la coopération politique des Etats. Opposée au régime de Bachar Al-Assad, la France a fermé son ambassade à Damas le 6 mars 2012, renonçant à la précieuse mine d’informations que lui fournissaient les services syriens pour l’aider à lutter contre le terrorisme. Coupés de la Syrie, les services français sont obligés de demander des renseignements à d’autres pays européens qui ont maintenu leurs relations avec les services syriens. Cette rupture diplomatique a compliqué la surveillance des assaillants du 13 novembre.

En dépit de quelques couacs concernant les attentats de Paris, les services de renseignement restent très efficaces dans la lutte contre le terrorisme. Treize projets d’attentats sur le sol français auraient été déjoués rien qu’en 2017, mais un attentat qui a abouti aura toujours plus d’impact sur les esprits que l’arrestation d’un groupe supposé terroriste, dont on parlera finalement peu dans les médias.

La coopération internationale est-elle la « bonne réponse » à la menace terroriste?

Selon le juge antiterroriste Marc Trévidic, les jihadistes adoptent l’art de la taqiyya (dissimulation des signes de radicalisation) et ont massivement recours à un « terrorisme solitaire » et « low-cost » (utilisation de camions, d’armes légères) sans passer par les camps d’entrainement. Le terrorisme revêt un visage de moins en moins précis et cette évolution rend encore plus difficile la coopération des services.

De plus, si certains leaders disparaissent (à l’instar de Ben Laden, tué par la CIA au Pakistan en 2011) les images et les vidéos continuent de transmettre le message jihadiste. Malgré l’affaiblissement militaire de Daesh en Syrie et en Irak, la menace est toujours présente.

La coopération sécuritaire a ses limites. Les terroristes réussissent à faire revenir sur leurs valeurs les démocraties, à travers le durcissement de la législation qui s’appuie sur l’argument très controversé de la « guerre contre le terrorisme », donnant aux jihadistes un statut d’égal combattant à un EtatLa question de la déradicalisation a  été très débattue. Pourrait-elle être la nouvelle arme pour déconstruire le jihad?  Le Centre de Prévention des Dérives Sectaires liées à l’Islam (CDPSI) créé en 2014 par l’anthropologue Dounia Bouzar, a d’abord reçu l’attention des médias lors de son ouverture. Puis le centre a été rapidement critiqué pour ses résultats mitigés et a cessé sa collaboration avec le gouvernement. Il est encore trop tôt pour tirer des conclusions fiables sur les études de déradicalisation qui ne font pas l’unanimité auprès des spécialistes.

Le terrorisme dépasse l’action des services de l’Etat car on touche à des problématiques sociales, culturelles, économiques, nationales et internationales. Le problème est également lié à l’avenir incertain de la Syrie et de l’Irak. Les terroristes, en provoquant une catastrophe dans l’instant, ont installé une menace dans le temps, à la fois proche et lointaine.

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