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Baloutchistan-Islamabad : un rapport de force inégal

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Le Baloutchistan est une zone qui s’étend sur trois pays: le Pakistan, l’Afghanistan, et l’Iran (1). Au Pakistan, c’est la plus grande région du pays et les Baloutches pakistanais ont toujours manifesté leur volonté d’indépendance. La répression et la marginalisation du peuple baloutche par le gouvernement central pakistanais sont inquiétantes et risquent de faire exploser cette région instable et fragile.

Le Baloutchistan, en rose sur la carte, est la plus grande région du Pakistan…mais aussi la plus pauvre.

Pour comprendre un peu mieux la situation des Baloutches aujourd’hui, il est préférable de revenir un peu en arrière. En 1666, une confédération de tribus Baloutches forme le « Royaume de Kalat ». Au XIXe siècle, les Anglais annexent la partie Est et la Perse récupère l’Ouest du territoire.

Mais le véritable tournant se produit en 1947, quand l’Inde et le Pakistan deviennent indépendants. Les Anglais laissent le choix au Baloutchistan: devenir indépendant ou se rattacher au Pakistan. Les Baloutches choisissent l’indépendance. Mais neuf mois plus tard, en 1948, le Pakistan rattache de force le Baloutchistan à son territoire. Il promet aux Baloutches une grande autonomie. Mais cela ne se produira pas.

Depuis 1948, la région a connu de nombreuses insurrections souvent très violentes. La dernière en date remonte à 2004. Si les violences et les disparitions se sont calmées ces dernières années, la rébellion baloutche n’est officiellement pas terminée.

Les Baloutches sont un peuple à part. Bien que musulmans sunnites, ils possèdent une culture particulière et parlent leur propre langue.

Pendant des décennies, la révolte était dirigée par les Sardars (chefs de guerres baloutches) qui faisaient partie des trois grandes familles bourgeoises du Baloutchistan. Aujourd’hui, il semble que les Sardars soient en perte d’influence constante au profit d’une nouvelle petite classe moyenne éduquée. La guérilla plus rurale au début s’est peu à peu transformée en une lutte plus étalée touchant même la capitale régionale, Quetta.

Le mouvement indépendantiste n’est pas uniforme. Il se décompose en de nombreux groupes. Les plus connus sont le « Balotch National Movment » (lutte pacifiste) et le « Balotch Liberation Army » (lutte armée).

La répression d’Islamabad est féroce. Les exécutions se comptent par centaines depuis 2004. Un autre phénomène inquiétant : les disparitions. Elles sont courantes au Baloutchistan, de nombreux habitants disparaissent du jour au lendemain sans qu’on ne sache ce qu’ils sont devenus. Les « Frontier Corps », des soldats venus d’autres régions pour « sécuriser » le Baloutchistan sont souvent décrits comme agressifs et peu diplomates.

Des intérêts énormes pour le Pakistan

Pourquoi Islamabad souhaite-il tant garder une emprise forte sur cette région ? Rappelons tout d’abord que le Baloutchistan représente 42% du territoire, ce qui en fait la plus grande région du Pakistan. Il y aurait au Baloutchistan 80% des réserves de gaz du pays et la cinquième plus grande mine d’or au monde. Il est donc inconcevable pour le Pakistan de donner l’indépendance à cette région (2). De plus, le port de Gwadar, situé au bord de la mer d’Oman est stratégique pour le Pakistan, dans son projet de corridor économique avec la Chine.

Les Baloutches marginalisés

Que demandent les Baloutches aujourd’hui ? Les velléités d’indépendance se sont calmées, la plupart des habitants ont compris qu’ils ne deviendraient pas indépendants demain. Malgré cela, tous déplorent un manque de représentation au sein du parlement pakistanais. En effet, le Baloutchistan a beau être la plus vaste région du pays, elle représente moins de 4% de la population totale. Et le quota de députés au parlement se fait en fonction du nombre d’habitants que chaque région comptabilise. Ainsi, cette sous-représentation démocratique a conduit de nombreux Baloutches à choisir les armes.

Les politiques d’Islamabad pour contrer les indépendantistes

La répression armée n’est pas la seule solution mise en place par le gouvernement central pour lutter contre les velléités indépendantistes. Deux politiques beaucoup plus fines se développent pour toucher le cœur de la culture baloutche.

Tout d’abord, la manipulation de la religion. Les Baloutches sont un peuple de culture séculière. Bien que de confession musulmane sunnite, ils n’attachent que très peu d’importance à la religion, ils se définissent plus comme Baloutches que musulmans. Islamabad a donc fait fermer des écoles séculières, et a ouvert des écoles coraniques, a fait construire de nombreuses mosquées…pour noyer la culture baloutche dans un ensemble musulman.

Cela a eu comme conséquence de faire monter l’extrémisme sunnite, provoquant de nombreux attentats (3).

Deuxième politique pour affaiblir les Baloutches : une migration interne a été mise en place par la capitale. Ainsi, Islamabad a fait venir des Pachtounes, des Punjabis, des peuples venant d’une autre région. Le but ? Que les Baloutches deviennent une minorité sur leur propre territoire.

Si le Baloutchistan a peu de chances de devenir indépendant à moyen terme, une politique plus conciliante d’Islamabad envers cette région est nécessaire. Une redistribution des richesses plus équitable, une meilleure représentation au parlement et un respect de la sécularité baloutche pourraient éviter une explosion générale de la région.

Il serait aussi préférable que la zone s’ouvre un peu plus à l’international : à l’heure actuelle il est quasiment impossible pour un journaliste ou un observateur onusien de se rendre sur place…


(1) Si des mouvements indépendantistes sont aussi actifs en Iran (Joundallah) et en Afghanistan, nous nous concentrerons sur le Pakistan, où le mouvement est le plus important.

(2) Au total, environ 20% de la richesse minière du Pakistan se trouve au Baloutchistan.

(3) Selon l’organisme indépendant «South Asia Terrorism Portal », 906 civils auraient péri dans des attentats en 2013 et 257 en 2015. On remarque donc une forte baisse ces dernières années. Les principales victimes de ces attentats sont les Hazaras, minorité chiite du Baloutchistan.

Remerciements à Gilles Boquérat (chercheur associé pour la Fonction à la recherche stratégique) pour sa précieuse collaboration.

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Pablo MENGUY

Ancien étudiant en école de journalisme, aujourd'hui en master à l'Institut français de Géopolitique (IFG).

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