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Les enjeux d’un transfert de capitale

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Fin avril, le président indonésien Joko Widodo a annoncé aux médias que Jakarta ne serait plus le centre politique indonésien. Jugée surpeuplée et en proie aux intempéries, « The Big Durian » va transférer les principaux centres de gouvernance politique vers un autre territoire. La nouvelle capitale, qui sera sans doute hors de l’île de Java, n’est pas encore connue. Dans l’histoire récente, plusieurs États ont également cherché à déplacer leurs institutions politiques. Les raisons sont diverses et les résultats sont parfois plus que limités.

Troubles démographiques et géographiques

Le choix de changement de capitale permettra au gouvernement indonésien de désengorger Jakarta et l'île de Java.
Bidonville du quartier de Cipinang à Jakarta. La ville est saturée, fortement polluée et soumise aux inondations fréquentes.

Le président indonésien a justifié le choix de changer de capitale par les troubles démographiques et géographiques que rencontre Jakarta. Forte d’une population de 9,7 millions d’habitants, Jakarta est une ville dont le sol s’affaisse terriblement. L’Institut technologique de Bandung annonçait en 2018 que la partie nord de la ville serait submergée à 95% d’ici 2050. Le reste de la ville est soumis au même phénomène, bien que plus lent. Dans une région à forts risques sismiques et volcaniques, Jakarta est de plus sujette aux inondations. Ces intempéries ont convaincu le gouvernement de la nécessité du changement, annoncé par le ministre de la Planification Bambang Brodjonegoro. L’urgence est aussi de quitter l’île de Java, peuplée de 150 millions d’habitants. Cela représente 60% de la population indonésienne qui compte aujourd’hui 265 millions d’habitants.

L’Égypte également projette depuis les années 1970 de construire une nouvelle capitale. A l’instar de Jakarta, le souhait initial était de désengorger Le Caire mais aussi de soulager le stress hydrique que subit le pays. Al-Sissi voit désormais plus grand avec un projet débuté en avril 2016. Alors que la ville du Caire pourrait atteindre les 40 millions d’habitants d’ici 2040, les observateurs voient aussi dans ce choix une logique stratégique qui vise à se rapprocher du Canal de Suez nouvellement élargi.

« La fonction première d’une capitale nationale est d’unifier l’État » – André-Louis Sanguin

Géraldine Djament-Tran, maître de conférence à l’Université de Strasbourg, analysait en 2010 le degré d’union nationale par rapport à la localisation de la capitale. En effet, l’instant où un État décide de déplacer sa capitale représente une tentative d’unification du territoire. Système géographique complexe et fragile, la ville-capitale peut être autant un avantage qu’un handicap dans ce que les géographes nomment les systèmes de ville. Il y a plusieurs logiques récurrentes de (re)localisation de capitale. Par exemple, le souhait de fonder Brasilia en 1957 (par le président Juscelino Kubitschek) dénotait d’un besoin de centraliser la vie politique et économique du Brésil. La centralisation des organes politiques et/ou économiques permet à l’État d’équilibrer les forces centrifuges et centripètes par l’hétérogénéisation de l’espace.

Historiquement, le choix de localisation d’une capitale relevait principalement de critères génériques (accès à l’eau, relief et accès à la mer) ou de logique d’inertie. Les réalités géopolitiques contemporaines poussent cependant les États à faire ce que Thomas Merle appelle les logiques de compromis. Par ce transfert, l’État tente de donner une nouvelle impulsion ou de dissoudre une tension tenace propre au territoire. L’expérience du Nigéria est intéressante en cela : en 1991, Abuja, devient officiellement la nouvelle capitale. Ce projet réfléchi depuis 1976 visait premièrement à désengorger Lagos mais aussi à équilibrer les pouvoirs ethniques et religieux afin de ne pas favoriser les Yorubas en s’installant dans un territoire “neutre” du point de vue ethnique. Les clivages démographiques peuvent alors avoir un rôle moteur dans la décision d’un transfert.

Pour une capitale plus stable et forte

Les régimes dictatoriaux ou militaires ont aussi parfois décidé de changer de capitale pour des raisons plus sombres. En Birmanie, Naypyidaw a remplacé Rangoun en 2005 – ville presque vide et réputée fantôme où vivraient principalement des fonctionnaires. L’aspect sécuritaire serait ce qui a motivé ce choix selon la majorité des observateurs internationaux. Enfin, d’autres États comme le Kazakhstan, la Côte d’Ivoire, le Pakistan, la Malaisie ou le Belize ont fait ce choix stratégique.

Symbole de l’État, la capitale caractérise la concentration de tous les attributs inhérents aux pouvoirs politiques. De ce fait, les logiques de (re)localisation doivent être dûment réfléchies pour ne pas que les effets du transfert ne soient limités. L’analyse des interactions entre capitale et construction nationale est donc un axe d’étude géopolitique à approfondir…

Sources :

  • Géraldine Djament-Tran, « Les scénarios de localisation des capitales, révélateurs des conceptions de l’unité nationale », Confins [En ligne],  23 juillet 2010
  • Thomas Merle, « les logiques géopolitiques de la localisation des capitales »  – https://www.clionautes.org/wp-content/uploads/clionautes/IMG/pdf/facteurs_de_localisation_des_capitales_2.pdf
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Pierre Lacroix

Pierre Lacroix est diplômé d'une Licence de Géographie (Université de Nantes), d'un Master de Relations Internationales, Intelligence Stratégique et Risques Internationaux (Lyon III), puis d'un Master Coopération Internationale et ONG (Paris XIII). Il est rédacteur depuis Mars 2019.

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