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Serbie-Kosovo, vers un échange de territoires?

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Depuis plusieurs semaines, les dirigeants de Serbie et du Kosovo parlent d’un possible accord entre les deux pays. Celui-ci impliquerait un échange de territoires. Un accord présenté comme historique mais qui fait face à de nombreux obstacles.

De lourdes conséquences juridiques

Aleksandar Vucic, Président de la Serbie

Officiellement, la Serbie n’a pas reconnu l’indépendance du Kosovo, proclamée en 2008. Le gouvernement serbe, dirigé par Aleksandar Vucic depuis 2014, sait que le Kosovo est perdu, et sans la reconnaissance du gouvernement de Pristina, la Serbie n’a aucune chance d’intégrer l’Union Européenne. Toutefois, une reconnaissance unilatérale par un gouvernement serbe, quel qu’il soit, est impossible sans s’exposer à une très forte opposition. L’accord actuel, qui n’est pas encore finalisé, devra être soumis à un référendum, et déjà l’opposition a critiqué des négociations fermées, peu transparentes, n’impliquant pas le peuple serbe, se contentant de le consulter à l’étape finale.

Du côté kosovar, cet accord pourrait être une véritable victoire car il permettrait la reconnaissance du Kosovo par Belgrade. L’échange de territoires ne semble pas être un frein pour le gouvernement Thaci, qui a appelé, avec son homologue serbe, au soutien international. Celui-ci pourrait pourtant se faire discret : modifier les frontières est un symbole important, dans le monde et spécifiquement pour l’Europe orientale. Dans le cas présent, cette modification se ferait de façon pacifique et légale. Les Etats-Unis ont déjà annoncé soutenir l’accord y compris avec les modifications territoriales. Mais pour les défenseurs d’une intégrité territoriale absolue, cette solution est problématique. Si on accepte dans ce cas la modification des frontières, ne risque-t-on pas de voir ce type de scenario se répéter à l’avenir ? Des pays comme la Hongrie ont régulièrement voulu réviser leurs frontières depuis 1919, tandis que la Russie a annexé la Crimée sur la base d’un référendum, bien que non reconnu par la communauté internationale.

La partition des Balkans

L’implosion de la Yougoslavie a donné naissance à des Etats aux identités fragiles : la Yougoslavie était un Etat multi-ethnique ; les nouveaux Etats sont censés représenter des nations, serbe, croate, slovène… Pourtant, ces mêmes Etats étaient encore largement multi-ethniques. L’indépendance de la Croatie s’est faite avec le déplacement de 300 000 serbes hors de Croatie, ceux-ci étant majoritaires dans certaines zones orientales du pays. La Croatie est devenu l’Etat des croates et les minorités non-croates n’y étaient pas en sécurité. La Bosnie-Herzégovine s’est construite en Etat tri-national, séparé en deux entités, une bosniaco-croate et une serbe. Après les deux guerres de 1991-1995 et 1999-2000, on aurait pu penser que la stabilité allait régner dans la région. En réalité, les contestations territoriales sont encore nombreuses.

Le Monténégro, peuplé de serbes orthodoxes avec une identité très forte quant à leur implantation géographique, est devenu indépendant en 2006. Le nord du Kosovo est largement peuplé de populations serbes, les drapeaux serbes sont nombreux le long de la route reliant Novi Pazar (Serbie) à Mitrovica (Kosovo). En 2004, des émeutes anti-serbes ont lieu dans tout le Kosovo. L’échange de territoires est donc important pour plusieurs raisons : il permettrait à Belgrade de conserver une partie de la province « Kosovo », fondamentale dans l’identité serbe ; il offre une protection pour les populations serbes locales. Des territoires majoritairement albanais du sud de la Serbie pourraient être offerts au Kosovo en échange. Notons toutefois que les échanges territoriaux n’ont pas été révélés, et la ville multi-ethnique de Mitrovica pourrait être une pomme de discorde.

L’échange de territoire est toutefois révélateur d’un problème majeur dans les Balkans depuis l’implosion de la Yougoslavie : l’impossibilité de créer des Etats-nations sur autre chose que des bases ethno-religieuses. À moins de nettoyages ethniques, génocides, déplacements de populations et échanges de territoires, il semble impossible de créer des Etats stables. La Macédoine, où un quart de la population est albanophone, ou surtout la Bosnie-Herzégovine où la République Serbe de Bosnie menace régulièrement de faire sécession, pourraient être les prochains pays à connaître des modifications territoriales. La stabilité des frontières en ex-Yougoslavie est donc loin d’être d’actualité, presque 30 ans après le début du conflit.

Des Serbes divisés

Le 16 janvier 2018, Oliver Ivanovic est assassiné au Kosovo. Leader historique (parmi d’autres) de la minorité serbe, sa liste d’ennemis était longue. Opposé à Aleksandar Vucic, il a dénoncé les gangsters serbes du nord du Kosovo, plus dangereux pour la population serbe que la majorité albanaise selon lui. Condamné pour crime de guerre, il a été acquitté en appel et un nouveau procès devait avoir lieu. Dans un pays où les politiques, les leaders de guerre et le crime organisé sont très liés lorsqu’ils ne se confondent pas, la position singulière d’Ivanovic dérangeait beaucoup de monde. Il n’y a pour l’instant aucun suspect identifié, mais l’assassinat d’Ivanovic montre que la culture de la violence n’a pas quitté le monde politique serbo-kosovar. Il montre aussi que les divisions sont loin d’être seulement ethniques mais recoupent d’autres réalités.

Aleksandar Vucic a un autre ennemi politique inattendu dans son accord avec Thaci : l’Eglise orthodoxe serbe. Cette dernière est largement opposée à l’échange de territoire qui implique la reconnaissance d’un Kosovo indépendant et musulman. L’Eglise serbe est d’ailleurs transfrontalière et inclut les orthodoxes du nord du Kosovo mais également ceux du Monténégro. Le Métropolite de l’Eglise serbe orthodoxe au Monténégro, Amfilohije Radovic, est catégorique contre toute reconnaissance du Kosovo. Si un accord est bel et bien signé, Vucic devra encore faire une intense campagne auprès de sa propre population afin que la population serbe y soit favorable. Une solution à la question du Kosovo semble donc très lointaine.

Bibliographie

J-A. Derens & L. Geslin, Comprendre les Balkans: histoire, sociétés, perspectives, Non Lieu Editions, 2007

Le leader serbe du Kosovo Oliver Ivanovic assassiné en pleine rue. Disponible sur : https://www.france24.com/fr/20180116-leader-serbe-kosovo-oliver-ivanovic-assassine-balles-mitrovica

‘Pray for Kosovo’s Salvation’, Urge Serbian Bishops. Disponible sur : http://www.balkaninsight.com/en/article/serbian-bishops-call-for-prayer-fasting-for-kosovo-08-06-2018

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