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Les attentats en Indonésie relancent la question de l’emprise de l’État islamique

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Dimanche, lundi et mercredi, une série d’attentats-suicides ont été commis à Surabaya, deuxième ville d’Indonésie et à Pekanbaru. L’État islamique les a revendiqués. Ces exactions constituent un pas de plus dans l’ampleur des attaques menées depuis le début des années 2000.

Surabaya, seconde ville d'Indonésie.
Surabaya, seconde ville d’Indonésie.

L’Indonésie a subi une série d’attentats-suicides entre dimanche 13 mai et mercredi 16 mai. Revendiquées par l’État islamique, ces attaques ont d’abord eu lieu à Surabaya, deuxième ville d’Indonésie à l’est de l’île de Java. Dimanche, une famille de six personnes a mené trois attaques à la bombe contre des églises, faisant 14 morts selon le dernier bilan[1]. Il s’agit de l’attentat le plus meurtrier depuis celui de Jakarta en 2009. Quelques heures plus tard, une autre attaque a visé un immeuble d’habitation. L’EI n’a pas encore revendiqué ce dernier attentat.

Le lendemain, une autre famille de huit personnes a commis un attentat-suicide contre un commissariat de police de Surabaya. Aucun mort n’est à déplorer mis à part les auteurs. Ce mercredi enfin, l’État islamique a revendiqué une autre attaque à Pekanbaru, sur l’île de Sumatra. Les auteurs ont foncé dans un commissariat avec une camionnette puis attaqué les policiers au sabre, faisant un mort en plus des quatre assaillants tués[2].

Un ancrage à nuancer pour l’État islamique en Indonésie

Cette série, revendiquée dans sa quasi-totalité par l’EI, relance la question de l’emprise de l’organisation terroriste sur le territoire indonésien. Premier pays musulman du monde en nombre, l’archipel possède une population très hétérogène dans ses croyances. Au sein même de ses citoyens musulmans, il existe un syncrétisme religieux fort. Sur l’île de Java par exemple, où se sont déroulés les attentats de dimanche et lundi, des musulmans dits « Abangan » cohabitent avec des « Santri ». Les premiers pratiquent un islam mêlé à des croyances animistes anciennes, tandis que les seconds sont détachés du polythéisme et ont adopté un islam sunnite tourné vers le Moyen-Orient[3]. Cette diversité freine la propagation du discours djihadiste.

L’extrémisme religieux sunnite n’est pas nouveau en Indonésie. La stratégie politique de Soeharto dans les années 1990, basée sur le soutien des leaders musulmans, a favorisé le retour d’exil d’extrémistes d’influence. Abu Bakar Bashir – actuellement en prison – fait partie de ceux-là. Son mouvement Jemaah Islamiyah affilié à Al-Qaïda est responsable des attentats de Bali de 2002 et de Jakarta en 2009.

L’ancrage de l’EI, depuis environ trois ans, doit donc être sérieusement considéré. L’extrémisme religieux a un écho depuis longtemps et les attentats prennent une nouvelle envergure depuis le début des années 2000. Cependant, le djihadisme s’appuie essentiellement sur une instabilité sociale et politique locale. De plus, les groupes indonésiens revendiqués comme pro-EI ne possèdent pas d’expérience de combat aguerrie pour constituer une force de frappe large actuellement[4]. Il faut enfin ajouter, comme mentionné plus haut, que l’hétérogénéité des pratiques musulmanes complique la propagation du discours de l’État islamique, beaucoup de communautés considérant comme inconcevable de s’attaquer à d’autres musulmans[5]. Il convient donc de nuancer l’emprise de l’EI sur l’Indonésie aujourd’hui, qui n’est pas véritablement structurée.

Une prise d’ampleur de l’EI à garder néanmoins sous surveillance

En parallèle, une surveillance stricte est à maintenir. On constate une prise d’ampleur et de coordination dans les derniers attentats, et une communication accrue de l’EI en langue indonésienne. L’organisation pourrait s’adapter progressivement au terrain local et améliorer les compétences de ses effectifs. Les attentats-suicides de dimanche notamment ont été commis par un mouvement local, Jamaah Ansharut Daulah, ayant prêté allégeance à l’EI[6].

[1] France 24 et AFP, « Indonésie : attentat suicide à Surabaya contre une base de police », France 24, 14 mai 2018.

[2] AFP, « Indonesia hit by new IS-claimed attack after suicide bombings », 16 mai 2018.

[3] Zaini Muchtarom, « Santri and Abangan in Java », thèse soutenue à l’Université McGill, 1975.

[4] Éric Frécon, « Problématique du terrorisme islamiste en Asie du Sud-Est », Ministère de la Défense – DGRIS, janvier 2017.

[5] Virginie André, « Le spectre de Daech plane sur l’Asie du Sud-Est », L’Asie du Sud-est 2017. Bilan, enjeux et perspectives, p. 23, IRASEC.

[6] AFP, « Indonésie : des attentats-suicide commis par deux familles », 14 mai 2018.

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Jessy PÉRIÉ

Diplômée d'un Master 2 en Géopolitique et prospective à l'IRIS, Jessy Périé est analyste géopolitique et journaliste, spécialisée sur la zone Asie orientale. Elle s'intéresse particulièrement aux questions de politique extérieure chinoise et japonaise.

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