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Compétition et collaboration sino-russe en Asie centrale (1/3)

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Depuis 2014 et le conflit ukrainien, l’Europe et la Russie vivent une crise diplomatique de grande ampleur, chacune étant persuadée que l’autre souhaite sa faillite. Cette crise a été l’occasion d’un rapprochement sino-russe, aussi bien politique qu’économique. Si cette coopération sur l’échiquier mondial a fait couler beaucoup d’encre, les deux puissances n’en restent pas moins concurrentes lorsqu’il s’agit de leur influence en Asie. Pour beaucoup d’analystes, cette concurrence est masquée par la bonne entente affichée entre dirigeants chinois et russes, dont un des objectifs est de défier un peu plus la superpuissance américaine.

Cette compétition entre Russes et Chinois cible une région en particulier : l’Asie centrale. Les nouvelles routes de la soie, (plus connues sous la dénomination « The Belt & Road Initiative ») lancée par Pékin pour joindre l’extrême-orient à l’Europe n’échappe pas à cette logique. Les infrastructures que la Chine a fait construire dans la région depuis le début des années 2010 font de l’ombre à l’influence russe, vieille de plusieurs siècles. Cependant, résumer les rapports sino-russes à une simple compétition régionale serait bien réducteur. Nous avons constaté dans un passé récent, ce que pouvait engendrer une course déraisonnée à l’influence entre puissances, notamment en Ukraine. La relation sino-russe en Asie centrale y semble bien différente.

Une région historique pour la Russie

La Russie a connu deux grands épisodes en Asie. Le premier fut son rôle de force politique dominée par la Horde d’or mongole à partir du XIIIe siècle. Le second épisode, est un rôle de force politique dominante face aux peuples d’Asie qui l’entourent. Cette domination débute dès le retrait mongol des territoires asiatiques au XVe siècle. Entre les XVIIe et XIXe, le territoire russe s’étire jusqu’aux confins de l’Asie, et cette expansion bouleverse la géographie russe, faisant passer la majorité de ses terres du côté de l’Asie (au-delà de l’Oural).

Cette domination perdura jusqu’à l’éclatement de l’URSS en 1991. L’ancien Turkestan, appelé plus communément aujourd’hui « Asie centrale » est composé de cinq États ; le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, le Turkménistan, le Tadjikistan et le Kirghizistan. Ces cinq États, aujourd’hui indépendants, sont au cœur de l’Asie, entre la Russie, le Moyen-Orient et la Chine. L’Asie centrale est largement influencée par ces trois « civilisations » : historiquement et politiquement par la Russie, culturellement et au niveau religieux par le Moyen-Orient et avec une économie chinoise de plus en plus présente.

Aujourd’hui, le débat sur le rôle positif ou négatif de la colonisation du Turkestan russe est essentiel dans les relations entre la Russie et les États d’Asie centrale. Ce débat n’est d’ailleurs toujours pas clos. Catégoriser ce passage de l’histoire aux côtés des autres « colonialismes » européens, dénoncés par ailleurs du temps de l’URSS, remettrait en cause les positions russes en Asie centrale. Le rôle « positif » de la Russie dans l’histoire de ces territoires d’Asie centrale est devenu un argument majeur pour conserver de bonnes relations avec les dirigeants de ces États depuis 1991.

L’éclatement du bloc soviétique, puis de l’URSS, a obligé la Russie à revoir ses ambitions régionales, mettant fin notamment à son mode de gouvernance « impérialiste ». Pour conserver une position privilégiée vis-à-vis des nouveaux États issus des républiques de l’URSS, la Russie a modifié sa conception des relations extérieures, en utilisant le paradigme du « partenariat ». Si l’influence russe a perduré tout au long des années 1990 et 2000, la Chine a vite compris l’intérêt géostratégique et économique que représentait la région. Ainsi, l’Asie centrale est devenue une zone privilégiée pour le développement du projet des nouvelles routes de la soie « The Belt & Road Initiative ».

La Russie encore devant la Chine ?

Face à l’implantation chinoise dans la région, la Russie possède encore l’atout migratoire et culturel. En effet, le Tadjikistan, le Kirghizistan et le Kazakhstan utilisent toujours l’alphabet cyrillique, bien qu’Astana soit en train de changer de voie, pour l’alphabet latin. De plus, il y a une forte migration des pays de l’ensemble de la région vers la Russie. Les populations venues d’Asie centrale représenteraient plus de quatre millions de travailleurs sur le sol russe (1).

La Russie s’est pourtant faite une raison. Au XXIe siècle, elle doit partager ses relations politico-économiques en Asie centrale avec la Chine, car le rapport de force entre ces deux puissances ne joue pas en sa faveur. Refuser l’implantation de la Chine dans cette région entraînerait pour la Russie le risque de perdre la confiance de ses « partenaires », acquise ces trois dernières décennies. Et même dans l’hypothèse où la Russie penserait au retrait des investissements chinois, elle ne semble pas avoir la possibilité d’agir contre.

(1) F.Herbert, N.Moreau, La Russie et son pivot asiatique, Les Yeux Du Monde, octobre 2017.

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Fabien HERBERT

Fabien Herbert est Président des Yeux Du Monde et rédacteur géopolitique pour l'association depuis mars 2016. Formé à l’Université Catholique de Louvain, Fabien Herbert est journaliste et analyste spécialisé en relations internationales. Il s’intéresse notamment au monde russophone, au Moyen-Orient et à l'Asie du Nord-Est.

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