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Compétition et collaboration sino-russe en Asie centrale (3/3)

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Depuis 2014 et le conflit ukrainien, l’Europe et la Russie vivent une crise diplomatique de grande ampleur, chacune étant persuadée que l’autre souhaite sa faillite. Cette crise a été l’occasion d’un rapprochement sino-russe, aussi bien politique qu’économique. Si cette coopération sur l’échiquier mondial a fait couler beaucoup d’encre, les deux puissances n’en restent pas moins concurrentes lorsqu’il s’agit de leur influence en Asie.

Compétition sino-russe

En Europe, lorsque nous évoquons la notion de zone d’influence en Russie, nous pensons logiquement aux manœuvres militaire en Europe orientale, en Ukraine et en Géorgie notamment. Deux États dans lesquels se sont déroulés une lutte d’influence entre Russes d’un côté et Occidentaux (Européens et Américains) de l’autre. Une lutte qui a abouti à un conflit dans chacun de ces pays. La logique est tout à fait différente en Asie centrale. Ni la Russie, ni la Chine ne sont prêtes à en venir aux armes, même lors d’un conflit interposé. D’ailleurs, la relation sino-russe est autant marquée par la compétition en Asie centrale que par la collaboration au niveau mondial. Ainsi aucune des deux parties n’a véritablement pour objectif d’éjecter l’autre de la région.

Cette compétition sino-russe n’a pour l’instant rien à voir avec une lutte d’influence. Chaque acteur essaie tout simplement de placer ses pions dans la région. Moscou dans l’optique de son influence régionale, Pékin pour le bon déroulement de ses nouvelles routes de la soie. L’Asie centrale n’étant pas une fin en elle-même, les deux État souhaitent étendre leur zone d’influence : vers le sud et le reste du Moyen-Orient pour la Russie, vers l’ouest et jusqu’aux marges de l’Europe pour la Chine. L’Asie centrale fait donc figure de point de passage pour les deux puissances.

Cette compétition-collaboration s’analyse aussi au niveau des organisations multilatérales. Les États d’Asie centrale participent à la fois à L’OTSC (Organisation du traité de sécurité collective) et à l’UEEA (Union économique eurasiatique), toutes deux dominées par Moscou. La première a une vocation militaire, tandis que la seconde se développe sur le terrain de l’économie. Les cinq États sont également partie prenante de l’OCS (Organisation de coopération de Shanghai) dominée par la Chine. Cet organisme comporte une dimension militaire, politique et économique. Encore une fois, la notion de compétition ne suffit pas à expliquer la présence chinoise et russe en Asie centrale, car la Russie collabore également à l’OCS. Ces organisations ne sont donc en aucun cas en position de confrontation dans la région.

Résumé de la compétition sino-russe en Asie centrale.

Collaboration sino-russe

Pour la Russie et la Chine, l’intégration de l’Asie centrale dans un espace commun permettrait de créer un immense bloc géopolitique, auquel serait amarré l’Iran (1). Une coalition qui serait en mesure de contrer Européens, Américains et autres États du Golfe. Une sorte de « Heartland » reconstitué selon la théorie du géographe Halford Mackinder. Cette alliance plait à Moscou, car le leader de ce bloc, la Chine, semble encline à lui laisser une large autonomie (comme pour l’Ukraine ou la Syrie), ce que ne lui permettait pas les puissances occidentales.

Les férus d’histoire et de géopolitique peuvent aussi voir dans cette collaboration sino-russe, à laquelle nous pouvons rajouter l’Iran, une résurgence de « l’empire mongol », puissance qui a dominé l’Eurasie au début du deuxième millénaire. Si l’arrivée de Pékin dans cette région historiquement dominée par la Russie a pu être vu d’un mauvais œil du côté de Moscou, la coopération entre les deux géants a pourtant déjà porté ses fruits. Le coup le plus marquant étant la fermeture de la base militaire américaine de Manas sur décision du gouvernement kirghiz en 2014. Ainsi, la Russie semble prête à laisser de la place à la Chine, si la collaboration entre les deux peut affaiblir les positions du rival américain.

Une relation pragmatique ?

La dimension géopolitique des nouvelles routes de la soie n’est plus à prouver. Elle est au cœur même de ce projet. Quoi de plus géopolitique que la volonté de relier un territoire aussi puissant que la Chine, à un autre territoire aussi riche que l’Europe ? Dans cette perspective, l’Asie centrale est une pièce maitresse du projet « Belt and Road Initiative » (BRI). Pour la Chine, l’intégration de l’Asie centrale à sa zone d’influence relève de différents intérêts, à la fois économiques et sécuritaires.

La dimension culturelle qui importe bien plus à Moscou semble mineur pour Pékin. Si des institutions culturelles chinoises fleurissent en Asie centrale, elles semblent servir les intérêts économiques de Pékin en tout premier lieu. Pour Moscou, l’Asie centrale n’a jamais vraiment été une zone économique privilégiée, mais plutôt une extension territoriale de la « civilisation russe » en Asie. Deux facteurs qui semblent permettre aux influences russes et chinoises de cohabiter pacifiquement en Asie centrale. Les différents acteurs, qu’ils soient chinois, russes ou centre-asiatiques, nous donne ici un exemple significatif de ce que devrait être une collaboration pragmatique.

(1) https://www.revueconflits.com/de-lempire-mongol-a-leurasie/

Fabien Herbert

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Fabien HERBERT

Fabien Herbert est Président des Yeux Du Monde et rédacteur géopolitique pour l'association depuis mars 2016. Formé à l’Université Catholique de Louvain, Fabien Herbert est journaliste et analyste spécialisé en relations internationales. Il s’intéresse notamment au monde russophone, au Moyen-Orient et à l'Asie du Nord-Est.

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