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L’ASEAN : une puissance de “l’indo-pacifisme” ?

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Ces samedi 22 et dimanche 23 juin, les dirigeants des différents pays de l’ASEAN (Association des nations de l’Asie du Sud-Est) se sont réunis en Thaïlande pour leur trente-quatrième sommet. Le contexte international affecte profondément l’association. Au cœur de l’indo-pacifisme, est-il possible d’affirmer son indépendance et sa neutralité ?

L’ASEAN, tenant du libre-échange

Il y a deux ans, le 50ème anniversaire de l'ASEAN a été célébré lors d'un sommet.
L’ASEAN, créée en 1967, célébré ses cinquante ans il y a deux ans.

La zone n’est certes pas autant intégrée que l’Union européenne mais cherche toutefois à répondre à un devoir de gouvernance. Si les principes de consensus et de non-intervention qui sont au cœur de sa philosophie (“l’ASEAN Way”) compliquent la prise de décision, ils ne tiennent cependant pas en échec toutes les tentatives. En témoignent notamment les déclarations prises lors de ce trente-quatrième sommet.

Tout d’abord, les pays de l’ASEAN se sont accordés pour clore d’ici la fin de l’année le “Partenariat économique régional global” (une zone de libre-échange), proposé par la Chine en 2012. L’accord devrait inclure également l’Inde, le Japon, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et la Corée du Sud. Les dissensions sont néanmoins encore nombreuses. Une arrivée massive de produits chinois et un manque de protection des travailleurs sont en particulier évoqués.

Par ailleurs, la pratique du protectionnisme et l’hostilité à l’encontre de la mondialisation ont été condamnées lors du sommet. Conscients du potentiel qu’une économie mondialisée offre à l’ASEAN, ses membres tiennent à la promouvoir. L’Indonésie, membre du G20, devrait en faire part au prochain sommet du Groupe, lequel aura lieu les 28 et 29 juin à Osaka.

Au demeurant, les participants au sommet se sont engagés à limiter les déchets dans l’océan. Ils font ainsi preuve d’une prise de conscience croissante des problématiques environnementales, même si celles-ci demeurent secondaires.

L’ASEAN, pivot de l’indo-pacifisme ?

Après que les États-Unis, le Japon, l’Australie, l’Inde et des pays européens, dont la France, ont fait valoir une stratégie “indopacifique” (“the Free and Open Indo-Pacific” – FOIP) dans la région anciennement dénommée “Asie pacifique”. Les pays de l’ASEAN se sont accordés pour également soutenir une telle terminologie. En effet, l’enjeu est capital pour ces pays. Géographiquement, ils sont au centre de l’indo-pacifisme.

Leur déclaration est cependant différente de celle des États-Unis. Ces derniers souhaitent contester l’importance de la Chine en accentuant l’intérêt accordé à l’Inde et à l’Océan Indien. Le “Rapport de stratégie indo-pacifique” publié le 1er juin par le Département américain de la défense affirme que les tensions asiatiques sont dues à un comportement chinois belliqueux. L’ASEAN, en revanche, évoque une rivalité sino-américaine. Ils promeuvent le FOIP afin de préserver une position de neutralité. L’association est contrainte à la prudence afin de ne contrarier aucune des deux grandes puissances mondiales. A l’image des « non-alignés » de la guerre froide, il s’agit pour l’ASEAN de conserver sa neutralité dans le conflit sino-américain.

Des enjeux substantiels

Si le FOIP peut être une chance pour l’ASEAN, il met la région au défi. Renforcer sa centralité, laquelle constitue l’atout majeur de la région dans ce contexte, est essentiel. Pour ce faire, développer ses relations avec des pays d’Asie du Sud est important. Si les contours de “l’indo-pacifisme” sont flous et variables selon la puissance à l’origine de la définition (celle du Japon s’étend par exemple jusqu’au Kenya et à la Tanzanie), il demeure une constante : l’Asie du Sud et l’Océan Indien deviennent cruciaux. Un renforcement de la présence de l’ASEAN dans la zone requiert une consolidation de son unité. L’histoire l’atteste : grâce à son unité, l’ASEAN est parvenue à endiguer l’expansion du communisme durant la guerre froide.

De surcroît, la dépendance économique croissante de certains pays de l’ASEAN à la Chine les rend inaptes à s’opposer à celle-ci. Or, Pékin avance simultanément ses pions militaires en Mer de Chine du Sud et sur les pourtours de l’Océan indien. A la faveur du FOIP, de nouveaux acteurs vont augmenter leur engagement et leur aide à la région. Par conséquent, le projet des « Nouvelles routes de la soie » devra composer avec les projets des autres pays investissant la zone. Une telle diversification pourrait amenuiser la dépendance de certains pays de l’ASEAN à la Chine.

Finalement, plus que le soutien de l’ASEAN au concept d’indo-pacifisme, c’est la capacité de l’association à développer une conception de l’ordre indopacifique et à l’affirmer qui sera primordiale. Pour ce faire, reconsidérer « l’ASEAN Way » se révèlera sûrement judicieux.

Sources

« Thailand Takes up the ASEAN Challenge », The Diplomat, 20 juin 2019 – https://thediplomat.com/2019/06/thailand-takes-up-the-asean-challenge/

« Asean issues collective vision for Indo-Pacific as it attempts to reclaim geopolitical narrative », The Straits Times, 23 juin 2019 – https://www.straitstimes.com/asia/se-asia/asean-issues-collective-vision-for-indo-pacific-as-it-attempts-to-reclaim-geopolitical

« Asean found its voice with the Indo-Pacific concept. Now it has to use it or risk losing out », South China Morning Post, 24 juin 2019 –
https://www.scmp.com/week-asia/geopolitics/article/3015809/asean-found-its-voice-indo-pacific-concept-now-it-has-use-it

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Noémie GELIS

est étudiante à HEC après une classe préparatoire à Pierre de Fermat.

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