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Libye : l’impact de la rivalité franco-italienne sur la résolution de la crise (1/3)

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La France et l’Italie, par leur position géographique et leur histoire, jouent un rôle stratégique en Méditerranée. Or, les relations entre les deux pays sont historiquement complexes, compliquant toute convergence stratégique franco-italienne. Elles entravent également la mise en place d’une politique européenne crédible de gestion de la crise libyenne. Pour comprendre cette rivalité et les opportunités que pourrait représenter une meilleure coopération franco-italienne, les trois articles suivants reviennent successivement sur les fondements de la relation franco-italienne, sur la crise libyenne comme facteur dégradant de cette relation et enfin sur la gestion de la crise en Libye et des pistes de réflexion sur une possible coopération.

PARTIE I : Les fondements historiques de la relation franco-italienne

Après une période de rapprochement entre la France et l’Italie fin 2017, marquée par un projet de traité politique franco-italien, l’arrivée au pouvoir en juin 2018 de la coalition italienne rassemblant le Mouvement 5 étoiles et la Ligue du Nord a entraîné une dégradation rapide de la relation franco-italienne. La fin de la coalition populiste italienne durant l’été 2019 et la visite du président français à Rome le 18 septembre, qui illustre la rapidité des évolutions dans les relations franco-italiennes, marquent un nouveau tournant. Toutefois, les liens qu’entretiennent la France et l’Italie ne sont pas seulement influencés par des événements et des dossiers ponctuels. Les relations franco-italiennes sont en effet historiquement et structurellement complexes.

Emmanuel Macron et Paolo Gentiloni (2017) entretiennent des rapports complexes sur le dossier de la Libye.
Emmanuel Macron et Paolo Gentiloni en 2017.

La France et l’Italie, une relation historiquement complexe

La relation franco-italienne est paradoxale. Les deux pays entretiennent des relations fortes dans plusieurs domaines reposant sur des intérêts mutuels très concrets. Économiquement, l’Italie est ainsi le deuxième partenaire commercial de la France, et le troisième client au sein de l’Union européenne. Elle est aussi le principal partenaire de l’hexagone dans le domaine de l’industrie de défense[1] avec le plus de programmes communs d’armement réalisés entre deux pays de l’Union européenne. De plus, les échanges universitaires sont nombreux. Près de 10 000 Italiens poursuivent ainsi chaque année des études dans les établissements d’enseignement supérieur français. L’Italie est en outre la seconde destination préférée des étudiants français en Europe.

Toutefois, ces points de convergences et ces échanges ne signifient pas pour autant l’établissement d’un rapport privilégié qui ferait du couple franco-italien un potentiel moteur en Europe ou en Méditerranée. L’Italie entretient avec la France un rapport marqué par une forte attirance et une « certaine admiration », doublée d’une exaspération contre « l’arrogance française »[2]. En parallèle de cette ambivalence entre proximité et méfiance, des tensions conjoncturelles ponctuent les relations franco-italiennes. Depuis 2011, de nombreux dossiers complexifient davantage cette relation. Parmi les sujets de discorde entre Paris et Rome, l’intervention en Libye de 2011 et son corollaire, la gestion de la crise migratoire, tiennent une place importante.

Des incompréhensions sur les orientations politiques et militaires en Afrique

La rivalité entre la France et l’Italie en Afrique du Nord s’est manifestée bien avant 2011. Dès le XIXe siècle, les deux pays ont connu des tensions lors de la colonisation de la Tunisie[3] en 1881 quand la France y a établi de facto sa domination, contrariant les ambitions italiennes dans la région. La présence française et italienne sur le continent africain ont ensuite pris des formes et des ampleurs très différentes. Aujourd’hui, les deux pays ne disposent pas des mêmes moyens militaires et diplomatiques pour s’affirmer dans la région. Ces divergences ont des répercussions dans la rivalité franco-italienne contemporaine. De plus, si Rome et Paris s’accordent sur la nécessité d’endiguer la menace terroriste et de contrôler les flux migratoires en provenance d’Afrique du Nord, la convergence des approches s’arrête là. La présence et l’influence française en Afrique du Nord et subsaharienne sont des sujets sensibles entre les deux pays.

Dans ce contexte, la Libye est une source particulière de conflit. Si la France est plus présente que l’Italie en Afrique, la Libye fait figure d’exception. Cette dernière est en effet une ancienne colonie italienne et ce passé a laissé des traces dans les relations italo-libyennes. Rome et le régime de Kadhafi avaient établi des rapports privilégiés en matière d’économie et dans le contrôle des flux migratoires. Cette relation avait été matérialisée par un traité signé en 2008. Ce texte consacre, selon le chercheur italien A. Varvelli, la « special relationship » entre l’Italie et la Libye. Il a donné un cadre politique qui a permis de structurer les rapports déjà existant entre Rome et Tripoli. La chute du régime de Kadhafi en 2011 a déstabilisé ces relations. L’intervention internationale a alors entraîné un ressentiment des Italiens contre les pays ayant initié l’opération militaire, dont principalement la France, expliquant encore aujourd’hui les tensions entre Rome et Paris sur le dossier libyen.

Béatrice Verdaguer

Passionnée de relations internationales, Béatrice Verdaguer est diplômée de l’IRIS Sup’ comme Analyste en stratégie internationale, spécialisation Défense et sécurité. Après un an en Italie, elle a étudié principalement les relations franco-italiennes dans le secteur de la défense. Elle s’est notamment intéressée à l’industrie navale et au contexte européen.

Sources

DARNIS J.P., France, Italy and the Reawakening of Historical Rivalries, IAI, Rome, 2017

LAZAR M., La France et l’Italie, une relation complexe, Institut Montaigne, Paris, 2017

TEINTURIER B., « Relations franco-italiennes : de vives tensions qui se reflètent dans les opinions publiques, mais aussi de vraies opportunités pour une relance du dialogue », Ipsos, 2019. URL : https://www.ipsos.com/fr-fr/relations-franco-italiennes-de-vives-tensions-qui-se-refletent-dans-les-opinions-publiques-mais

VARVELLI A., Per l’Italia in Libia la rincorsa si fa lunga, ISPI, Rome 2011

 

Notes

[1] BELIN J, HARTLEY K, LEFEEZ S, LINNENKAMP H, LUNDMARK M, MASSON H, MAULNY J-P,

UNGARO A R, Defense Industrial link between EU and US, Rapport ARES n°20, 09/2017

[2] LAZAR M., Paris-Rome : je t’aime, moi non plus ? , Les publications de l’Institut Montaigne, Paris, 2019

[3]“Tunisi 1881, lo schiaffodei francesi all’Italia”, Il Corriere della Sera, 30/07/2017

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