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Quelle réalité pour « une Europe de la santé » ?

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Le tandem franco-allemand a exposé le 18 mai 2020 son « initiative franco-allemande pour la relance européenne face à la crise du coronavirus ». Le premier volet concerne la création d’une Europe de la santé pour « renforcer notre souveraineté sanitaire stratégique ». L’idée n’est pas nouvelle puisque qu’en 1952 Robert Schuman en parlait déjà : « S’il est un domaine qui semble devoir se prêter à l’unification, c’est bien celui de la lutte contre la maladie. Les épidémies, les fléaux sociaux, ne connaissent pas de frontières », soutenait le ministre des Affaires étrangères d’alors. En 1965, le marché du médicament est le premier à être uniformisé dans le cadre du marché commun. Pourtant, sur les 1074,3 milliards d’euros du budget pluriannuel 2021-2027 de l’UE (aussi connu sous le nom de NextGenerationEU), seuls 1,7 milliards (encore négociables) sont alloués pour le moment à la santé. L’échec d’une Europe de la santé ?

Un début chaotique

Europe de la santé, rapport européen, PPE, coronavirus
Nathalie Colin-Oesterlé en train de relire un rapport pour construire une Europe de la santé et notamment faire face à la pénurie de médicaments.

On se souvient des feuilletons de la première vague : des cargaisons de masques à destination de la Suède pillés sur le tarmac de l’aéroport de Roissy, des interdictions d’exportation de médicaments, des fermetures de frontières à l’intérieur de l’espace européen, des stratégies sanitaires Etat par Etat, une absence de fluidité de l’information. Mieux, la presse s’était souvent faite le relais de colportages diffamants. Un exemple éloquent : la République tchèque a été injustement accusée en mars dernier d’avoir volé plusieurs centaines de milliers de masques à l’Italie alors qu’une enquête était en cours sur la fiabilité du fournisseur. En attendant la conclusion policière, les masques étaient simplement bloqués sur le sol tchèque (voir l’article en tchèque).

Pourtant, face à la crise, l’Europe agit très rapidement. La Commission européenne prend des mesures. Fait historique, elle suspend le Pacte de stabilité. Cela permet aux Etats-membres de s’endetter largement pour faire face à la crise. Fin mars déjà, la Commission a signé des contrats de plusieurs centaines de millions d’euros avec des laboratoires pharmaceutiques. Le but est qu’un vaccin soit disponible pour les Européens aussi vite que possible. Elle livre également des recommandations sanitaires aux Etats.

La dépendance européenne aux marchés extérieurs du médicament

Le coronavirus vient de Chine, il ne faudrait pas l’oublier. Mais rapidement, il se propage en Europe. Les pénuries de médicaments et de matériels sont patentes. On prend conscience que 80% des principes actifs de nos médicaments sont produits en Chine ou en Inde. Le chiffre tombe à 40% pour les produits finis. Une commission se met alors en place à Bruxelles autour par exemple de Nathalie Colin-Oesterlé (PPE – les Centristes) ou de Yannick Jadot (GREENS/EFA) pour rédiger un rapport « sur la pénurie de médicament – comment faire face à un problème émergent » (rapport).

Les conclusions du rapport

Ce rapport propose d’augmenter le budget de la santé européen. Cela permettrait de créer des infrastructures numériques pour centraliser le renseignement médical et la diffusion d’une meilleure information. Il souhaite aussi la mise en place d’une politique industrielle européenne qui aurait deux aspects. Tout d’abord, favoriser la recherche dans le milieu médical sur le continent européen. Ensuite, adapter des règles de concurrence et promouvoir des aides d’Etat pour relocaliser une partie de la production de médicaments et diversifier les sources d’approvisionnement. La proposition la plus ambitieuse est vraisemblablement la mise en place de pharmacies européennes à but non-lucratif. Leur but : assurer en urgence aux Etats-membres les médicaments et les protections nécessaires pour faire face à une nouvelle pandémie.

Le modèle retenu est celui de rescUE (réserve pour la protection des citoyens contre les catastrophes et la gestion des risques émergents) créé en 2019 (lien). Cette réserve européenne permet de mettre en commun des ressources qui viennent s’additionner à celles que possèdent le ou les Etats-membres touchés par la crise. Ces ressources comprennent une flotte d’avions notamment d’évacuation médicale, des hélicoptères bombardiers d’eau, des hôpitaux de campagne, etc.

Le retour du chacun pour soi ?

Pourtant, malgré les 9 milliards d’euros proposés par la Commission pour coordonner et mettre en place des mesures sanitaires européennes, seuls 1,7 milliards ont été retenus pour cette tâche. Certes, le budget est en nette augmentation, mais il était auparavant dérisoire. Seulement 440 millions d’euros sur la période 2014-2020. Une somme probablement insuffisante pour réaliser toutes les mesures exposées dans ce rapport. Les parlementaires européens ont d’ailleurs réclamé 36 puis 16 milliards d’euros supplémentaires au budget pluriannuel, notamment pour compenser cet écart.  On serait alors aux alentours de 5 milliards d’euros pour le budget européen de la santé. Mais de nombreux Etats européens sont souvent frugaux par rapport à ces augmentations souhaitées en deuxième instance… Traditionnellement, la santé est d’abord une compétence nationale (par exemple en France) ou régionale (en Allemagne).

Ensemble, on est plus forts

Mais la crise du Covid aura permis une chose. Les Etats-membres se sont rendus compte qu’ils pouvaient négocier ensemble avec les laboratoires des tarifs préférentiels, car ils représentent globalement un marché de près de 450 millions de consommateurs. C’est le cas avec les vaccins, où ils mettent également en commun leur capacité d’emprunt. Et c’est encore une fois historique. En l’absence de coordination, comme dans l’affaire des tests PCR, les capacités de négociation avec les labos sont extrêmement variables d’un Etat à l’autre. Un test coûte deux fois moins cher en Allemagne qu’en France.

L’article 168 du Traité sur le fonctionnement de l’UE précise que celle-ci doit coordonner et compléter les politiques publiques sanitaires nationales (article). Elle a désormais prouvé qu’elle pouvait et devait, dans certaines circonstances, s’y substituer. Cependant, encore une fois l’Europe peine à médiatiser ses succès. L’Europe de la santé n’est pas pour demain.

Sources:

« https://www.marianne.net/societe/de-004-016-du-budget-de-l-ue-coronavirus-ou-pas-elle-est-loin-l-europe-de-la-sante

https://www.francetvinfo.fr/replay-magazine/franceinfo/la-faute-a-l-europe/la-faute-a-l-europe-du-dimanche-8-novembre-2020_4173721.html

https://www.francetvinfo.fr/replay-magazine/franceinfo/la-faute-a-l-europe/la-faute-a-l-europe-du-mardi-6-octobre-2020_4132027.html

https://fr.welcomeurope.com/news-europe/un-accord-budget-16-milliards-d-euros-supplementaires-17280+17180.html#replierTexte

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Paul BATCABE-LACOSTE

Paul Batcabe-Lacoste est élève normalien à l'ENS Paris-Saclay et étudie la sociologie, le tchèque et l'histoire contemporaine. Ses thèmes de prédilection concernent le sport comme fait social et l'Europe médiane et balkanique. Il est également intéressé par l'histoire des mondes communistes et celle des gauches européennes.

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