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La Turquie : un partenaire incontournable dans le Caucase

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Depuis la création de la République turque le 29 octobre 1923 par Mustafa Kémal Atatürk, la Turquie oscille entre la politique kémaliste et un retour à l’Empire ottoman. A partir de 2016, Erdogan tourne le dos à l’Occident et s’engage dans une politique unilatéraliste, rompant avec la traditionnelle politique kémaliste. Il mise sur une politique interventionniste dans la région du Caucase et du Moyen-Orient pour asseoir son influence. Grâce à sa position géographique particulièrement stratégique, Ankara multiplie ses actions et se tient dès lors comme le partenaire incontournable dans la région.

Erdogan veut imposer la Turquie comme un partenaire incontournable dans le Caucase.
Erdogan veut imposer la Turquie comme un partenaire incontournable dans le Caucase. Crédits : Lemonde.fr

Sous les feux de l’actualité, Ankara multiplie ses actions dans la région du Caucase et du Moyen Orient. L’été dernier, la Turquie déployait un navire de prospection d’hydrocarbures « Tungsten Explorer » dans les eaux chypriotes. Elle sort aujourd’hui du conflit du Haut-Karabagh dans lequel elle a su apporter un soutien définitif à son frère azéri.

L’impression d’un retour à l’Empire ottoman…

Dès 2016, année de la tentative du coup d’État, Erdogan comprend qu’il doit tourner le dos à l’Union Européenne – qui semble lui refuser son adhésion – et assurer sa puissance dans la région du Moyen-Orient. En avançant ses pions sur l’échiquier international, Ankara entreprend une stratégie interventionniste extraordinaire. Tout autour de ses frontières, se forment alors de véritables points chauds du Moyen-Orient. Le « reis » comprend que, s’il veut être l’interlocuteur privilégié dans la région et constituer un pays stratégique dans la zone de Méditerranée orientale. Il devra s’imposer avec force face aux États voisins et faire valoir ses intérêts.

Situer géographiquement la zone stratégique de la Turquie en Méditerranée
Position stratégique de la Turquie, au carrefour de l’Europe, l’Asie et le Moyen-Orient. Crédits : touteleurope.eu

Notons que la Turquie est située dans une zone particulièrement stratégique. Au carrefour des 3 continents (Asie, Afrique, Europe), celle-ci borde la Méditerranée. Elle est considérée comme un « véritable cordon ombilical énergétique et économique entre Orient et Occident »[1].

La « Patrie bleue », doctrine kémaliste

En effet, la Méditerranée constitue un enjeu stratégique considérable. Aussi, la Turquie n’hésite pas à se comporter telle la « Patrie bleue » – doctrine stratégique qui remonterait à Mustapha Kemal (1881-1938) – qui s’impose dans la région pour protéger et développer ses droits et ses intérêts maritimes. De cette manière, Ankara fait intervenir directement sa Marine, véritable outil diplomatique militaire et dissuasif dans l’exploitation d’hydrocarbures en eaux grecques et chypriotes. Cependant, ces derniers convoitent autant que la Turquie ces « mines d’or ». Ils entament alors un véritable bras de fer avec la Turquie.

Délimiter les zones maritimes entre la Grèce et la Turquie
Répartition des zones maritimes entre la Grèce et Turquie fixée par l’accord de Montego Bay. La Turquie s’oppose à cet accord, et négocie avec la Libye pour le partage des eaux méditerranéennes, empiétant sur la zone exclusive de la Grèce. Crédits: France Inter

« Aux côtés de nos frères »

Par ailleurs, le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, qui a pris fin le 9 novembre par un fragile « cessez le feu », illustre encore la politique interventionniste turque. Alliée de longue date de l’Azerbaïdjan, Ankara est intervenue directement dans le conflit au Haut-Karabagh. En effet, le pays équipe l’Azerbaïdjan, fournit des F-16, des instructeurs, une assistance technique, des forces spéciales mais aussi des drones qui ont su détruire de nombreux véhicules militaires. « Les drones turcs ont fait la différence » au profit de l’Azerbaïdjan, affirme Gaïdz Minassian, enseignant à Science Po et spécialiste du Caucase.

L’intervention directe et décisive des turcs dans ce conflit a prouvé aux yeux du monde que le pays devient, avec la Russie, une puissance de plus en plus redoutable dans la région. Néanmoins, depuis 2018, la Turquie semble vouloir se désengager du Moyen-Orient. Ankara cherche une nouvelle zone d’influence moins conflictuelle et plus facile à contrôler. Le pays a ainsi engagé une politique économique et socioculturelle active en Asie Orientale et en Afrique.

Du côté de la France

Face aux mouvements interventionnistes turcs, la France fait front. A l’occasion de l’escalade de la violence gréco-turque, la France est le premier pays à avoir soutenu l’ennemi de la Turquie. Elle a ainsi noué des liens diplomatiques et militaires avec la Grèce. Aujourd’hui, elle continue de former des partenariats extrêmement engageants tels que la vente récente de 18 Rafales à Athènes.

Présenter la Turquie aujourd’hui comme un Etat redoutable, contraire à l’Etat de droit parait caricatural. Aussi, il ne faut pas réduire la Turquie à son président. Il ne s’agit plus de penser le monde à travers des lunettes occidentales qui nous feraient tomber dans un imaginaire ethnocentrique. Pour comprendre les intentions de la Turquie et se former une véritable opinion, il importe de considérer une étude approfondie de sa culture, son histoire et sa coutume. Aujourd’hui, on exige beaucoup plus en matière de démocratie, de la Turquie que des voisins du Proche-Orient. L’omniprésence occidentale  actuelle (particulièrement les Etats-Unis) économique et militaire dans cette région pour « régler les conflits et maintenir la paix » n’a de cesse de susciter la méfiance et l’hostilité des turcs et de ses voisins…

[1] P. Ausseur et P. Razoux, « La Méditerranée stratégique, laboratoire de la mondialisation » in La Méditerranée stratégique. Laboratoire de la mondialisation, Revue Défense nationale, n° 822, 2019, p. 11.

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