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Intervention occidentale contre le régime syrien : entre légalité et légitimité

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Dans la nuit du 14 avril 2018, les aviations américaine, française et britannique ont frappé plusieurs cibles de l’armée syrienne. Ces frappes avaient pour objectif politique de punir le régime de Bachar el-Assad, soupçonné d’avoir utilisé des armes chimiques contre les rebelles syriens sept jours plus tôt. Alors que les États occidentaux paraissaient unis, le parti allemand Die Linke (gauche radicale), opposé à une intervention militaire en Syrie a questionné le Bundestag sur la compatibilité des frappes du 14 avril avec « le droit international »[1]. Les experts missionnés par le parlement allemand ont estimé que ces frappes allaient à l’encontre des règles en vigueur. Cette déclaration du Bundestag est une épine dans le pied des diplomaties américaines, françaises et britanniques, qui clament pourtant la légitimité de leur action.

Légitimité et responsabilité de protéger

La question de frapper le régime de Bachar el-Assad n’est pas récente. Elle remonte à l’été 2013, lors d’une première utilisation d’armes chimiques dans la Ghouta. Le Président américain, Barack Obama, avait alors préféré traiter avec son homologue russe Vladimir Poutine pour négocier le démantèlement de l’arsenal chimique syrien. Une décision qui a notamment déconcerté la diplomatie française prête à intervenir à l’époque pour frapper le régime syrien. Suite à de nouveaux soupçons d’utilisation d’armes chimiques en avril 2018, Washington, Londres et Paris se sont mis d’accord pour répondre au régime d’Assad par des bombardements, qui ont eu lieu dans la nuit du 14 avril. Alors que Londres par la voix de Thérésa May a revendiqué la légalité de l’opération, Jean-Yves Le Drian s’est concentré sur son caractère légitime. Légitime, car l’opération fût menée pour punir un régime syrien qui venait d’enfreindre le droit international, violant notamment la Convention sur l’interdiction des armes chimiques. Pour le Quai d’Orsay, un autre argument légitime l’attaque occidentale : la destruction des capacités chimiques syriennes et donc la possibilité de protéger des populations civiles de leur utilisation potentielle.

Après sept années de conflit, la frappe du 14 avril est la première action militaire occidentale commune dirigée contre le régime.

Violation du droit international pour le Bundestag

Cependant, légitimité et légalité sont deux notions distinctes. En réponse à une question qui lui était posé, le Bundestag a, de son côté, tranché la question de la légalité de la manière suivante : « L’emploi de la force militaire contre un État, afin de sanctionner la violation par cet État d’une convention internationale, représente une atteinte à l’interdiction de recourir à la violence prévue dans le droit international » (source: AFP). Sans remettre en cause les questions de légitimité précédemment citées, l’expertise a repris une déclaration de l’Assemblée générale de l’ONU, rappelant « le devoir des États de s’abstenir, dans leurs relations internationales, d’user de contrainte d’ordre militaire« . Enfin, les experts ont noté l’incompatibilité de cette intervention « avec les objectifs et les principes des Nations Unies« .

En somme, alors qu’aucun des trois États n’était directement menacé, ni ne possédait de mandat du conseil de sécurité de l’ONU et puisque la faute reprochée au gouvernement syrien n’était pas imminente, mais passée, l’utilisation de frappes militaires punitives ne pouvait rentrer dans le cadre « du droit international ».

Légitimité sans légalité ?

Finalement, les arguments présentés par le Bundestag et ceux de la diplomatie française ne se contredisent pas. L’illégalité des frappes militaires n’empêche pas leur légitimité sur le plan moral. Cependant, la légitimité de cette action peut-elle s’accommoder de son l’illégalité ? En effet, alors qu’il est reproché aux forces d’Assad de bafouer « le droit international » et les conventions qui s’y rattachent, peut-on considérer la pertinence de la réponse occidentale, qui elle-même s’affranchit « du droit international » ? En résumé, cette intervention enfreint « le droit international » dans le but de punir un régime qui venait de le transgresser. Si la légitimité de cette opération militaire existe, nul doute qu’elle affaiblit encore un peu plus des normes internationales déjà bien mal-en-point.

[1]Rappelons que le droit international public s’occupe des relations entre États et organisations internationales. Il n’existe pas de code du « droit international », mais différentes sources (conventions, accords etc.) sont à l’origine de cette appellation, aucune ne sont hiérarchisées.

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Fabien HERBERT

Fabien Herbert est Président des Yeux Du Monde et rédacteur géopolitique pour l'association depuis mars 2016. Formé à l’Université Catholique de Louvain, Fabien Herbert est journaliste et analyste spécialisé en relations internationales. Il s’intéresse notamment au monde russophone, au Moyen-Orient et à l'Asie du Nord-Est.

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