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Sanctions américaines envers l’Iran : une lutte d’influence au Moyen-Orient sur fond de guerre économique

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Ce que cache la décision américaine pour l’avenir du Moyen-Orient

Le deuxième volet des sanctions décrétées par les Etats-Unis à l’encontre de l’Iran a pris effet le lundi 5 novembre 2018. Pour rappel, ces sanctions visent à interdire à l’Etat iranien l’exportation de sa production pétrolière, et cette interdiction a été mise en œuvre pour un certain nombre de pays, excepté certains importateurs, parmi lesquels l’Inde et la Chine. Les Etats-Unis ont justifié leur décision en invoquant le « comportement déstabilisateur de l’Iran au Moyen-Orient »[1]. Les auteurs de ces sanctions espèrent à travers elles réussir à entraver les progrès de l’Iran dans le développement de son programme nucléaire et balistique. Cependant, ces sanctions ne dissimulent-elles pas plutôt une nouvelle lutte d’influence au Moyen-Orient ? 

Le président Trump décrète de nouvelles sanctions à l'encontre de l'Iran.
Second avertissement des Etats-Unis contre le développement du nucléaire iranien.

Ces nouvelles sanctions ne sont pas sans rappeler l’embargo décidé en 2012, qui avait fortement affaibli l’économie iranienne, en provoquant une chute importante de ses exportations pétrolières et une forte inflation. La levée progressive des sanctions avait néanmoins permis d’enrayer la récession et de relancer la croissance du pays[2]. L’économie iranienne, qui repose essentiellement sur la production et l’exportation de pétrole et de gaz, va-t-elle donc retomber dans une nouvelle récession économique ? On peut déjà observer une baisse des investissements étrangers ainsi qu’une baisse des exportations (2,8 millions de barils/jours en avril 2018, pour 1,6 millions de barils/jour en octobre 2018)[3]. Cependant, le président Rohani a réagi avec vigueur face à cette décision : « J’annonce que nous allons contourner avec fierté vos sanctions illégales et injustes car elles vont à l’encontre du droit international », a-t-il dit. « Nous sommes en situation de guerre économique et nous affrontons un pouvoir d’intimidation »[4].

L’Etat iranien est-il suffisamment résilient pour résister à la pression économique exercée par le gouvernement américain ? 

De fait, ces nouvelles restrictions, appelées « mesures diplomatiques de coercition »[5] dépassent largement le seul domaine de l’économie iranienne puisque toute l’influence que l’Iran possède au Moyen-Orient est mise en péril. L’Etat iranien est en effet actif dans de nombreux conflits régionaux, et s’y présente comme le principal défenseur des intérêts des minorités chiites (en Syrie, au Yémen et précédemment au Liban via le Hezbollah). Sous couvert de mesures de sécurité collective – dans lesquelles il réussit à s’allier de nombreux Etats – contre le nucléaire iranien, le président Trump s’attaque directement à la puissance iranienne et à l’axe d’opposition qu’elle incarne, aux côtés de Bachar Al-Assad et de Vladimir Poutine.

Cette guerre économique met donc une nouvelle fois en exergue l’existence d’une lutte d’influence et d’une ligne de front au Moyen-Orient, reflétants le jeu des grandes puissances (déjà mise en lumière par l’intervention occidentale en Syrie). Chacune y défend une vision fondamentalement différente de l’avenir de la région (uni ou multipolaire). De ces visions divergentes résultent deux niveaux de confrontation qui se confondent pourtant sur le terrain : le premier n’est pas sans rappeler le contexte de la guerre froide, puisqu’il oppose une nouvelle fois la Russie aux Etats-Unis. Le second, découlant du premier, entretient une rivalité entre les puissances locales à savoir l’Arabie Saoudite contre Iran.

Il s’agit désormais d’observer la réaction de l’économie iranienne face à ce nouveau volet de sanctions, mais aussi de mesurer à quel point son influence régionale pourrait être bouleversée. Enfin, il importe de se pencher sur les répercussions à venir dans des jeux d’alliances toujours complexes : si l’Arabie Saoudite semble être avantagée par l’imposition de telles sanctions, elles bénéficient également au marché pétrolier russe…

Sources :

Barah, Mikaïl 2018 : Logiques et aboutissements des recompositions géopolitiques. In : Les Cahiers de l’Orient, vol. 131, no. 3, 2018, pp. 51-69.

Fathollah-Nejad, Ali 2013 : Les sanctions contre l’Iran : Les multiples impacts néfastes. In : http://www.academiedegeopolitiquedeparis.com/les-sanctions-contre-liran-les-multiples-impacts-nefastes/

Khajehpour, Bijan 2016 : Une évaluation de l’économie iranienne. In : Les Cahiers de l’Orient 2016/3 (N° 123), p. 63-80

Nodé-Langlois, Fabrice 2018 : Les nouvelles sanctions américaines contre l’Iran entrent en vigueur. In : http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2018/11/04/20002-20181104ARTFIG00132-l-embargo-contre-l-iran-met-le-marche-petrolier-sous-tension.php

Pichon, Frédéric 2018 : Le conflit syrien, d’un ordre international à un autre. In : Les Cahiers de l’Orient, vol. 131, no. 3, 2018, pp. 9-11.

[1] Nodé-Langlois 2018.

[2] Khajehpour 2016

[3] Nodé-Langlois 2018.

[4]Ibid.

[5] Fathollah-Nejad 2013

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Jeanne-Marie BIOL

Jeanne-Marie Biol est étudiante en master Carrières Administratives à Sciences Po Bordeaux. Elle s'intéresse particulièrement à l'histoire et à la géopolitique du Moyen-Orient et de la Russie ainsi qu'aux questions de défense. Elle est rédactrice pour les Yeux du Monde depuis novembre 2018.

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