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Daesh au Khorasan, un danger pour la paix afghane

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Alors que les négociations entre Talibans, parties prenantes étrangères et l’opposition semblent augurer un potentiel accord, la présence de l’organisation Etat Islamique dans le pays complique les espoirs de paix. L’attaque du Ministère de la communication à Kaboul commanditée par Daesh au Khorasan le 20 avril dernier illustre sa capacité de nuisance. Cette cellule régionale (comportant l’Afghanistan, le Pakistan, l’Iran et l’Asie centrale), créée en 2014, est une véritable menace pour les Talibans et la paix, car Daesh est un véritable concurrent idéologique, religieux et militaire.

Daesh au Khorasan : menace idéologique

Les pourparlers pour la paix semblent menacés par Daesh, concurrent des Talibans, menace pour le gouvernement.
Daesh, Talibans, pouvoir de Kaboul, les obstacles semblent bien hauts pour espérer une paix solide…

D’un point de vue idéologique tout d’abord, Daesh s’oppose à la vision nationaliste prônée par les Talibans. Le groupe encourage une internationalisation du djihad et non le nationalisme afghan. Cette approche panislamiste est également beaucoup plus fondamentaliste et vise les minorités chiites du pays en commettant des attentats ou des exécutions. Les Talibans condamnent ces agissements et les jugent barbares, malgré des persécutions fréquentes contre les Hazaras durant les années 1980. Seuls les plus fondamentalistes semblent soutenir la persécution de chiites et ainsi trouver un point de convergence avec Daesh.

De plus, le leader des talibans, le mollah Akhundzada, est considéré comme raisonnable. Il est en effet favorable aux négociations avec les Etats-Unis ou encore avec le Pakistan, ce qui suscite le mécontentement de groupes talibans les plus durs. C’est le cas de la choura, conseil de direction musulman où sont prises les décisions d’un parti, d’un village ou d’un groupe, de Miran Shah, plus connu sous le nom de « réseau Haqqani ». Cette choura de Talibans fondamentalistes est proche de djihadistes étrangers et s’oppose aux négociations avec les Américains. De plus, ses effectifs représentent près de 15% des forces talibanes, un vivier de choix pour Daesh au Khorasan en cas de désaccord stratégique.

Concurrent religieux et adversaire militaire

D’un point de vue religieux, Daesh se base sur une idéologie salafiste djihadiste. Les Talibans pratiquent majoritairement un Islam hanafiste, les rendant globalement imperméables à l’idéologie de l’organisation Etat Islamique. Cependant, des aides financières venues du Golfe ont permis la construction de mosquées d’idéologie salafiste dans les zones quittées par les talibans à partir de 2002. Cela constitue une base sociale jeune et potentiellement proche idéologiquement des pratiques religieuses de Daesh pour les plus extrémistes des pratiquants.

Enfin, d’un point de vue militaire, Daesh au Khorasan se base sur une force d’environ 11 000 combattants, majoritairement locaux. Cependant, certains combattants sont issus de minorités musulmanes d’Asie centrale et souhaitent une internationalisation du djihad dans leurs pays d’origine. Les Talibans ont une force estimée à 77 000 combattants qui subit de plein fouet les désertions à destination de Daesh. Abdul Rauf Khadim, un ancien commandant taliban de la province du Helmand est devenu gouverneur adjoint du Khorasan de Daesh. De quoi illustrer l’attractivité de l’organisation Etat Islamique dans le pays.

Cette concurrence pour la suprématie djihadiste s’illustre par des affrontements directs entre les deux organisations. Les combats dans la province de Nangrahar (Est du pays, frontalier du Pakistan) sont fréquents car la zone est en partie contrôlée par l’Etat Islamique depuis bientôt quatre ans. Ce conflit armé meurtrier mène à des situations cocasses, comme la reddition de 250 combattants de Daesh aux forces gouvernementales afghanes dans le but d’échapper aux talibans de la province du Djôzdjân (Nord du pays) en aout 2018. Bien qu’en difficulté militaire dans le Nord afghan, Daesh est solidement implanté dans le pays, et y restera sans doute de nombreuses années.

Qui profite des désaccords entre Talibans ?

Le danger principal identifié semble être l’attractivité dont bénéficie l’organisation auprès de jeunes talibans en désaccord avec un potentiel accord de paix. Depuis 2002, les Talibans semblent n’avoir jamais été aussi puissants. Cependant, depuis la mort du mollah Omar, dirigeant historique des Talibans, des dissensions se forment. La présence de l’organisation Etat Islamique sur le territoire et au Khorasan se renforce donc de ces désaccords internes. Cela inciterait une partie du mouvement taleb à refuser tout accord de paix, obligeant le mollah Akhundzada à durcir ses prétention vis-à-vis des interlocuteurs internationaux. De quoi rendre les négociations difficiles et les concessions minimes.

Ce chaos est bénéfique à Daesh. L’organisation peut ainsi concurrencer son grand rival et s’installer dans une région montagneuse difficile d’accès. L’Afghanistan risque donc de pâtir de sa situation géographique stratégique, servant de base arrière à l’Etat Islamique. Cela illustre la formidable capacité de résilience de cette nébuleuse djihadiste.

Sources :

-« Daesh pourrait transformer l’Afghanistan en une autre Syrie », Institut des Relations Internationales et Stratégiques, Aout 2017

-« Durcissement Taliban, percée de l’Etat Islamique, ingérence Russe : l’histoire se répète-t-elle en Afghanistan ? », France Culture, Janvier 2018

-« La chute de l’Etat islamique marque-t-elle la fin du phénomène djihadiste ? », Institut des Relations Internationales et Stratégiques, Avril 2018 (http://www.iris-france.org/111708-la-chute-de-letat-islamique-marque-t-elle-la-fin-du-phenomene-djihadiste/)

-« Taliban and Daesh: Religious Creed and Militant Groups in Afghanistan », Sciences Po, Niklaus Miszak, Novembre 2017 (https://www.sciencespo.fr/ceri/fr/oir/taliban-and-daesh-religious-creed-and-militant-groups-afghanistan)

-« Afghanistan : Daesh revendique une attaque meurtrière contre un ministère », BFMTV, Avril 2019 (https://www.bfmtv.com/international/afghanistan-daesh-revendique-une-attaque-meurtriere-contre-un-ministere-1677956.html)

-« L’Afghanistan pris en étau entre Daesh et les Talibans », Euronews, Aout 2018 (https://fr.euronews.com/2018/08/16/l-afghanistan-pris-en-etau-entre-daesh-et-les-talibans)

-« Islamic State Khorasan (IS-K) », Center for Strategic and International Studies, 2018 (https://www.csis.org/programs/transnational-threats-project/terrorism-backgrounders/islamic-state-khorasan-k)

-« Afghanistan : radioscopie des mondes rebelles », Diplomatie, Novembre-Décembre 2018

-« Afghanistan : course à la paix ou guerre interminable », Diplomatie, Les Grands Dossiers 48, Décembre-Janvier 2019

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Harold MICHOUD

Harold Michoud est étudiant de Grenoble Ecole de Management et effectue une poursuite d'étude en géopolitique au sein de l'IRIS SUP'.

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