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Vague de contestations en Irak et au Liban : quelles conséquences sur la scène régionale ? (1/2)

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Voilà plus de trois mois que des mouvements de contestation populaire agitent le Liban et l’Irak. Les points de convergences tant au niveau de la nature, du déroulé de la crise et des demandes des manifestants dans les deux pays sont saisissants. Les manifestants, au delà de motivations économiques, demandent l’abolition d’un régime politique confessionnel et dénoncent la corruption. L’influence forte de l’Iran dans ces deux pays soulève quant-à-elle une question régionale.

Soulèvement populaire au Liban
Au Liban le soulèvement populaire débuté en octobre ne tarit pas.

Le déclencheur de la crise Libanaise : la Taxe WhatsApp

Au Liban, la crise débute le 17 octobre 2019. Des centaines de contestataires sortent alors dans les rues pour manifester contre la « taxe WhatsApp ». L’instauration d’une taxe mensuelle de 2$ sur toutes les applications téléphoniques gratuites, très utilisées dans un pays qui possède une importante diaspora à l’étranger, a rapidement été retirée sans pour autant calmer les protestataires. Cette taxe a créé l’étincelle dans un pays en proie à l’une des pires crises financières depuis la fin de la guerre civile (1975-1990). Dans un pays où le chômage touche beaucoup de jeunes, elle devient un symbole. Elle exprime le gouffre existant entre la population et les élites.

Un nouveau gouvernement toujours contesté

La démission du Premier ministre Saad Hariri, le 29 octobre n’a pas suffi à calmer la rue. Depuis octobre, les manifestants réclament le renouvellement de toute la classe politique, jugée corrompue. Le pouvoir qui souhaitait jouer sur l’essoufflement du mouvement s’est heurté à la détermination des jeunes. Le 19 décembre, le président Aoun a chargé Hasan Diab, ancien ministre de l’éducation (2011-2014), de constituer un nouveau gouvernement.

Un nouveau cabinet restreint de vingt ministres a été annoncé le 21 janvier. Cependant, la tâche s’avère compliquée, tant pour faire face à l’impasse financière et sociale dans laquelle se trouve le pays, que politiquement. Ils vont devoir répondre aux revendications des manifestants et faire face à l’effondrement de l’économie. Politiquement, Hassan Diab ne bénéfice pas du soutien du Courant du Futur, principal représentant de la communauté sunnite. Taxé de « technocrate » par les manifestants et soutenu par le Hezbollah chiite et ses alliés, le risque est grand pour ce nouveau gouvernement de retomber dans une polarisation confessionnelle. Ces jeux de pouvoir menacent de reléguer les défis économiques au second plan tandis que la chute de la livre libanaise, conjuguée aux restrictions de retraits bancaires des Libanais, attisent les colères.

Une crise économique et financière

Ancienne « Suisse du Moyen Orient », le Liban s’enlise dans une crise financière majeure. La dette de l’État représente actuellement plus de 150 % du produit intérieur brut (PIB) et la croissance stagne autour de 0,2%. Il faut ajouter à cela la chute du prix du pétrole et l’impact de la guerre en Syrie sur le commerce agricole. Le système bancaire, pilier de l’économie libanaise a également été mis a mal. Le renforcement de sanctions américaines envers les banques suspectées d’entretenir des liens avec le Hezbollah et la dévaluation continue de la livre libanaise ont entraîné l’adoption de mesures d’austérité sans précédent depuis avril 2019. Ces politiques ont probablement précipité le mouvement de mécontentement populaire d’octobre. 

Enfin, l’aide financière espérée de la communauté internationale n’arrivera probablement pas. Elle avait été conditionnée à la formation d’un cabinet réformateur. Or, le rôle déterminant du Hezbollah dans la formation du nouveau gouvernement dissuade à l’international. Les Etats-Unis et l’Union Européenne considèrent en effet le Hezbollah comme une organisation terroriste. Quant à l’Iran, malgré son influence politique au Liban, il ne dispose plus des mêmes ressources en raison des sanctions économiques et ne peut plus apporter d’aide pécuniaire.

L’influence Iranienne

Hassan Nasrallah Hezbollah
Hassan Nasrallah est le secrétaire général de l’organisation chiite Hezbollah depuis 1992.

L’influence de Téhéran dans les affaires intérieures libanaises est moins ouvertement critiquée par les manifestants qu’en Irak. Cependant le poids du Hezbollah au sein du gouvernement demeure un point sensible de contestations.

Le Hezbollah, dirigé par son secrétaire général Hassan Nasrallah, est une autorité politique majeure au Liban. Créé dans les années 1980 pour défendre le pays contre une intervention militaire israélienne, il s’est maintenant institutionnalisé. Sa naissance avait été rendue possible, notamment financièrement, par un état iranien alors puissant.

Depuis octobre, et pour la première fois en trente ans la contestation populaire a gagné les régions traditionnellement dominées par le Hezbollah et ses alliés. Le manque de confiance vis-à-vis de la classe politique est général. Le parti de Hassan Nasrallah n’échappe pas à la vague de « dégagisme ». Pourtant, pour le moment, le parti tient bon dans la sphère politique. Le 11 février 2020, le parlement libanais a accordé sa confiance au gouvernement qualifié de pro-Hezbollah. Le mouvement contestataire, dans son cinquième mois, ne faiblit pas pour autant. Les manifestants ont baptisé la session parlementaire « session de la honte ». Le même jour, les forces de l’ordre ont durement réprimé les manifestants. 

Si l’Iran entend maintenir son influence au Liban, la détermination des manifestants ne s’usera pas facilement. L’affaiblissement du pouvoir du Hezbollah est un risque réel pour la puissance chiite qui pourrait perdre une assise politique stratégique dans la région.

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Anastasia Athénaïs Porret

Athénaïs PORRET est docteure en sociologie et genre, diplômée de Paris Cité. Elle s’intéresse particulièrement à la géopolitique du terrorisme, le Moyen Orient, l’Afrique et les enjeux sécuritaires et d’influence.

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