AmériqueBrésilTiers-Monde et émergents

Les fractures territoriales au Brésil (2/2)

Shares
Brasilia, véritable "géosymbole"
Brasilia, véritable « géosymbole »

S’il est peu vraisemblable que ce schéma connaisse un véritable bouleversement dans un futur proche, une telle configuration n’a rien d’une fatalité et l’histoire récente du Brésil présente des exemples de rééquilibrage plus ou moins durables, fruit de l’activité économique ou de politiques étatiques volontaristes. Le défi actuel semble plutôt concerner l’opposition Est/Ouest, l’intégration au commerce planétaire ayant pour le moment essentiellement profiter aux portes sur le monde que sont les côtes maritimes du pays.

Si, comme évoqué précédemment, le XIXème siècle est le siècle du café, cette culture ne représente pas le seul moteur économique de l’époque. La seconde moitié du XIXème est au Brésil, plus précisément dans le nord amazonien, le moment d’une intense exploitation du caoutchouc. Profitant des découvertes scientifiques successives en Europe (vulcanisation par Goodyear en 1839, pneu à valve en 1888 par Dunlop et pneu démontable en 1891 par les frères Michelin), la ville de Manaus devient en moins d’un demi-siècle le centre mondial du « saignage » de l’hévéa, au prix d’une intense exploitation des indiens autochtones (appelés « seringueiros »). Petit village au centre du plus vaste ensemble forestier du monde, fondé au XVIIème siècle par les Portugais, distant de près de 1500km du littoral, Manaus devient rapidement une extension amazonienne de l’Europe, porté par les allers-retours des barons du caoutchouc et l’essor urbain inspiré de l’architecture européenne, à l’image du style Renaissance du Teatro Amazonas dont les diverses composantes proviennent de France, d’Italie ou d’Angleterre.

Si l’économie brésilienne est désormais largement tertiarisée et moins dépendante de ses matières premières, ce constat permet tout de même d’écarter tout déterminisme géographique et climatique, les capitaux privés s’affranchissant d’une majorité de contraintes dès lors qu’une activité s’avère potentiellement rentable.

Suivant la même logique, et de manière complémentaire, le renforcement du pouvoir fédéral au cours du XXème siècle a permis aux pouvoirs publics de lancer des initiatives nationales d’aménagement du territoire. A commencer par la construction de Brasilia, achevée en à peine 4 ans (1956-60), sous l’impulsion de Kubitschek, président nouvellement élu, resté dans l’Histoire pour son ambitieux slogan de campagne : « 50 ans de progrès en 5 ans ». Brasilia – plus encore qu’Ankara en Turquie – est destinée à recentrer l’activité du pays et à dépasser le conflit qui oppose au Sud Rio de Janeiro et Sao Paulo. Symboliquement située dans la région où se côtoient les quatre principaux bassins hydrographiques du pays, la ville, dont la conception et la supervision des travaux sont confiées Lucio Costa et Oscar Niemeyer, est dès le début pensée comme centre politique et administratif du pays. Approchant les trois millions d’habitants, Brasilia est désormais la quatrième ville du pays et concentre l’ensemble des pouvoirs administratifs et des représentations diplomatiques. Si la vie économique et culturelle demeure concentrée sur le littoral (Sao Paulo, Rio et Salvador notamment), la capitale a donc tout de même contribué à ramener le centre de gravité brésilien vers l’Ouest du territoire.

Enfin, l’émergence durable de la locomotive asiatique pourrait à terme être l’occasion d’un développement durable de l’Est du pays. Leader mondial de l’agro-alimentaire (soja, volaille, viande bovine) et grand exportateur de ressources naturelles (fer, bois, pétrole), le Brésil est de longue date un partenaire commercial majeur de la Chine et des pays de la région. Si du fait des côtes exclusivement atlantiques du pays et des infrastructures existantes ce partenariat a jusqu’ici essentiellement profité au littoral, le renforcement de l’intégration régionale et le tropisme asiatique des pays sud-américains pacifiques (création en 2012 de l’Alliance du Pacifique pour peser dans leurs relations asiatiques) sont des éléments nouveaux. Cela s’est notamment traduit depuis le début des années 2000 par l’initiative IIRSA (initiative pour l’intégration de la région sud-américaine) qui cherche à développer des axes d’intégration Est/Ouest et Nord/Sud au sein du continent (routes, ferroviaire, télécommunications…).

Autant de canaux qui pourraient, en cas de dialogue coordonné avec les nations asiatiques, servir de débouchés pacifiques pour les produits brésiliens, à condition de développer des points intermédiaires dans la partie occidentale du pays, au risque de créer un « effet tunnel » qui marginaliserait encore plus la partie centrale du continent, piégée entre les deux littoraux océaniques.

Shares

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *