Kenya : entre violences intra-communautaires et terrorisme dans le « berceau de l’humanité » – Kevin Merigot

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Entouré par le Sud-Soudan, l’Erythrée et l’Ethiopie au Nord, la Somalie à l’Est, l’Ouganda, le Rwanda et la République démocratique du Congo (RDC) à l’Ouest, le Kenya, avec la Tanzanie, font figure de havre de paix. Connu mondialement pour son attractivité touristique, le Kenya, connaît ces dernières années, une dégradation de sa situation sécuritaire. Qu’en est-il réellement ? Quels sont les facteurs de cette dégradation et quels en sont les impacts sur l’avenir du pays ?

Source : Carte de situation de Nairobi, Kenya – Aude Marcovitch, « pourquoi les israéliens interviennent-ils à Nairobi ? », Libération, 24 septembre 2013.

Le territoire kenyan a connu plusieurs vagues de colonisations successives au cours de son histoire (arabe, perse, portugaise, omanaise, allemande puis anglaise) avant d’accéder à l’indépendance en 1963.

Jomo Kenyatta, premier président du Kenya, dirige le pays jusqu’à sa mort en 1978, laissant derrière lui plusieurs scandales. Son successeur, Daniel Arap Moi, adopte une dure répression contre les contestations politiques (tentative de coup d’Etat en 1978) et instaure le Kenya African Nation Union (KANU), parti unique.

Le multipartisme ne sera réinstauré qu’en 1991, notamment avec la pression de la communauté internationale. Le président Arab Moi se maintient malgré tout au pouvoir jusqu’en 2002, avant de choisir Uhuru Kenyatta (fils du défunt Jomo Kenyatta) pour successeur, le propulsant alors candidat à l’élection présidentielle. Kenyatta s’incline devant Mwai Kibaki en 2002. Il prend ensuite le contrôle du KANU avant de finalement soutenir le président sortant pour le scrutin de 2007.

La victoire de Kibaki, réélu avec seulement quelques milliers de voix d’avance, est vivement contestée : le pays plonge alors dans un engrenage de violence et un affrontement ethnique généralisé. Ces affrontements ont causé la mort de plus de 1 200 personnes et près d’un demi-million de déplacés.

En 2010, Kenyatta est poursuivi par la Cour pénale internationale (CPI) pour « crimes contre l’humanité » : accusé d’avoir organisé et financé des milices responsables de massacres et d’exactions lors de ces affrontements. Elu président en 2013, Uhuru Kenyatta devient le premier chef d’Etat en exercice poursuivi par la CPI avant que les poursuites ne soient abandonnées en 2014, faute de preuves.

Le facteur ethnique n’explique pas à lui seul les violents affrontements qui ont marqué l’histoire politique du pays. La pauvreté et la précarité touchent une part importante de la population, notamment illustrées par le bidonville de Kibera (environ 1 million d’habitants) qui borde Nairobi. Les disparités régionales, entre la capitale très urbanisée au centre, un littoral touristique et le reste du pays peu développé et isolé, renforcent les inégalités sociales et économiques (accès au logement, à l’éducation, aux services de santé, etc.), exacerbant les tensions communautaires.

Alors que le bétail s’est révélé être un investissement de choix pour les élites urbaines kényanes, avec une valeur ayant considérablement augmenté au cours de la dernière décennie, les conflits fonciers concernant les droits de pâturages et l’accès à l’eau sont régulièrement à l’origine d’affrontements communautaires dans tout le pays.

L’importante sécheresse qui frappe la corne de l’Afrique depuis 2011 a entrainé un regain des violences sur l’ensemble du territoire. Des milliers d’éleveurs nomades et semi-nomades allant jusqu’à investir les ranchs et les réserves privées, notamment dans le centre du pays, sur les contreforts du mont Kenya et la vallée du grand Rift, le « berceau de l’humanité ».

Le nord du pays est également le théâtre d’affrontements meurtriers, les frontières régionales difficilement identifiables permettant les déplacements des éleveurs venus d’Ouganda, du Sud-Soudan ou d’Ethiopie.

Malgré la présence de l’armée kényane au Jubaland, la porosité de la frontière avec la Somalie est un autre défi sécuritaire majeur pour le Kenya qui voit se déplacer librement les milices du groupe Al-Shabaab (affiliées à Al-Qaïda) dans tout l’est du pays et sur la partie nord du littoral.

Depuis l’opération militaire kenyane (2011) et la participation du Kenya à la Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM), le pays est régulièrement la cible d’attentats et attaques revendiqués par ces milices islamistes.

Le camp de réfugié de Dadaab est au centre des préoccupations : infiltré par les milices d’Al-Shabaab, le camp affiche un niveau de criminalité très élevé. Construit en 1991 pour accueillir provisoirement les Somaliens fuyant la guerre civile dans leur pays, le camp est aujourd’hui devenu une ville de 350 000 habitants avec des écoles, des commissariats, des magasins, etc. Servant notamment de lieu de transit d’armes légères, il est considéré par les autorités comme une véritable base avancée pour le terrorisme islamiste au Kenya.

Après s’être installé dans la corne de l’Afrique par le biais du chaos régnant en Somalie, le groupe Etat islamique (EI) tente de profiter de l’instabilité sécuritaire au Kenya pour s’y implanter.

Avec une croissance démographique à 2,5% par an depuis le début des années 2000, la chute des prix des matières premières qui repousse l’exploitation commerciale du pétrole kényan à 2020 au mieux et une grave chute du tourisme en raison de la dégradation de la situation sécuritaire, le contexte social et communautaire est plus que jamais mis sous tension à l’approche des élections législative et présidentielle en août 2017.

 

Kevin Merigot

Diplômé d’un Master 2 en Géoéconomie et Intelligence stratégique et d’un Master 2 en Défense, Sécurité et Gestion de crise de l’école de l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS Sup’), Kevin Merigot est rédacteur occasionnel pour Les Yeux du Monde.

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