Oman « Vision 2020 » : le port de Duqm au cœur de la stratégie de développement du pays – Kevin Merigot

Shares

Autrefois un grand empire maritime et commercial, notamment grâce à sa production d’encens puis le commerce d’esclaves, métaux et minerais, l’empire d’Oman a été brisé par les affrontements entre l’arrière-pays, « Oman » et le littoral, « Mascate » et l’ingérence britannique. Avec l’exportation d’hydrocarbures et la stabilisation du pays après la prise du pouvoir par le Sultan Qaboos, Oman entend redevenir un acteur majeur du commerce maritime de la région.

Source: Anna Jagger, “Projects : Oman focuses on Duqm refinery and petrochemicals project”.

Après plusieurs occupations successives du territoire omanais, la dynastie des Yaroubides chasse les Portugais du pays en 1650. Oman en profite alors pour s’emparer des principaux ports swahilis de la côte est-africaine (Mombasa, Kilwa, Zanzibar et Pemba), prenant ainsi le contrôle de points stratégiques du très lucratif commerce d’esclaves.

L’empire omanais va s’étendre dans tout l’océan Indien occidental, de l’île de Madagascar à Zanzibar au large de la Tanzanie et jusqu’au Baloutchistan Les Britanniques abolissent l’esclavage en 1833. La Compagnie britannique des Indes orientales (CBIO), qui cherche à s’implanter sans succès à Mascate depuis plusieurs années déjà pour sécuriser la route maritime vers l’Inde, va se servir de l’interdiction du commerce d’esclaves pour affaiblir l’empire omanais et pousser à l’indépendance de Zanzibar en 1861.

Dès lors cette indépendance de Zanzibar, qui servait essentiellement pour le trafic d’esclaves africains, prive Mascate de l’une de ses principales ressources. En parallèle, les affrontements entre Mascate et l’arrière-pays vont contribuer à réduire l’activité du port, qui devient alors un port mineur.

Les prospections pétrolières qui vont suivre la Première Guerre mondiale vont relancer l’intérêt pour le pays. Les Britanniques qui souhaitent également se servir du pays comme relai pour les routes militaires aériennes de la région vont modifier toute la structure administrative du pays après avoir racheté la dette de la famille royale.

L’Angleterre va continuer à jouer un rôle dans la construction du pays réduisant, avec les Iraniens, une violente insurrection entre 1965 et 1976, lors de ce qui sera appelé « guerre du Dhofar » (région Sud d’Oman, à la frontière avec le Yémen).

L’actuel Sultan, le Sultan Qaboos bin Saïd, prend le pouvoir en 1970 en renversant son père, Saïd bin Taimur, qui dirigeait le pays de façon autoritaire. Il renomme le pays « Sultanat d’Oman », entreprend la modernisation des infrastructures et développe de nombreux secteurs comme la santé ou encore l’éducation en s’appuyant sur la manne financière croissante qu’apporte l’exploitation des gisements d’hydrocarbures.

Le processus de développement du pays, salué par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), a permis à Oman d’être le pays dont l’Indice de développement humain (IDH) a le plus progressé entre 1970 et 2010.

Politiquement stable, entretenant des relations relativement cordiales avec ses voisins, le pays fait figure d’exception au cœur d’une région du monde particulièrement en proie aux conflits et tensions sociales, communautaires, culturelles ou encore religieuses.

Avec moins de ressources en hydrocarbures que ses voisins des Emirats arabes unis (EAU), l’Arabie saoudite ou encore le Qatar, Oman, qui cherche à diversifier son économie, entend bien s’appuyer sur sa position stratégique au Moyen-Orient pour redevenir un hub régional, au cœur du plan de développement « Vision 2020 ». Après le développement du port de Salalah en 1998, celui de Sohar en 2004, le gouvernement mise sur le développement du port de Duqm, entre Mascate et Salalah.

Le port de la petite ville sur le littoral omanais existe déjà mais le gouvernement a la volonté d’en faire un des fers de lance du développement du pays. Les différents projets du développement du port et des zones économiques et industrielles autour sont pensés pour permettre à Duqm de se présenter en véritable concurrent du port Jebel Ali à Dubaï (EAU), plus importantes installations à conteneurs de la région, qui achèvera la mise en service d’un 4ème terminal d’ici 2018.

Oman compte bien profiter de l’énorme activité logistique et en croissance permanente dans la région du Golfe (70 milliards de dollars d’activité, soit plus que le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne ou encore la Belgique). Cette activité est tirée vers le haut par l’intensification des flux qui transitent dans la région.

Si Duqm part avec un certain retard sur Jebel Ali, le port omanais bénéficie d’un avantage non-négligeable, son positionnement géographique plus favorable : il se développe sur une façade de la péninsule qui ouvre directement sur l’océan Indien. En effet, les flux au départ ou à destination de Jebel Ali doivent transiter par le détroit d’Ormuz, zone particulièrement sensible où l’Iran cherche à imposer sa domination.

Avec une ouverture directe sur les routes maritimes, Duqm est idéalement placé pour s’intégrer dans les flux à destination de l’Europe, qui passent par le détroit de Bab el-Mandeb puis par le canal de Suez, mais surtout dans les flux entre l’Afrique et l’Asie, qui s’intensifient toujours plus chaque année. Ces flux sont appelés à s’intensifier encore, alors que les pays du littoral est-africain reçoivent des investissements de toute part pour développer les infrastructures énergétiques et dans le transport. Ainsi, Oman cofinance avec la Chine le développement du port de Bagamoyo en Tanzanie.

Le Koweït a récemment signé un accord de cofinancement pour la construction d’une raffinerie dans la zone du port de Duqm tandis que la Chine, qui multiplie les investissements dans les infrastructures à travers le monde, a signé avec le gouvernement omanais un accord pour la création d’une zone industrielle à proximité des installations portuaires.

Le gouvernement omanais souhaite développer une immense zone d’activité commerciale, industrielle, pétrochimique et logistique autour du port ainsi qu’un complexe touristique, immobilier et développer les infrastructures dans les secteurs de la santé et de l’éducation.

L’enjeu est double pour le pays : en développant Duqm, le gouvernement omanais entend développer les territoires aux alentours de cette région peu développée et isolée. Avec une ligne de chemin de fer en construction pour relier la ville à la région du Dhofar, Duqm est au centre des projets de développement du pays, dans tous les sens du terme. Alors que le pays doit faire face à certaines tensions sociales, notamment dues à une population très jeune exposée à un chômage élevé, le développement et le désenclavement des régions isolées du centre et du sud sont indispensables pour assurer la stabilité du pays.

Kevin Merigot

Diplômé d’un Master 2 en Géoéconomie et Intelligence stratégique et d’un Master 2 en Défense, Sécurité et Gestion de crise de l’école de l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS Sup’), Kevin Merigot est rédacteur occasionnel pour Les Yeux du Monde.

Shares

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *