Le barrage de la Renaissance, déclencheur d’un conflit à venir pour le partage des eaux du Nil ? – Kevin Merigot
Alors qu’elle recouvre 70% de la planète, l’eau est pourtant une ressource rare. Vital, son accès est bien souvent à l’origine de tensions qui donnent lieu à des affrontements et des conflits dans de nombreuses régions du monde. Avec une croissance démographique importante à l’échelle du monde et une utilisation pour l’agriculture ou encore pour l’industrie, la demande en eau est constante et sans cesse plus forte.
L’eau joue également un rôle dans la production d’énergie. Grâce aux barrages, les centrales hydroélectriques permettent la production d’électricité. Cependant, l’impact des barrages sur le débit des cours d’eau génère des tensions avec les pays qui se situent en aval.
95 % des ressources hydriques de l’Egypte proviennent du Nil, qui traverse le pays depuis le Sud jusqu’à la Méditerranée. Outre les enjeux sanitaires, l’accès à l’eau est un enjeu vital pour l’agriculture égyptienne qui ne suffit déjà pas à nourrir ses 95 millions d’habitant (l’Egypte est dépendante des importations agricoles) et qui devra répondre aux besoins des 150 millions d’habitants que devrait compter le pays en 2050.
Le Nil est formé par le regroupement du Nil blanc qui prend sa source dans le lac Victoria (Kenya) et par ses affluents en République démocratique du Congo (RDC), Rwanda, Burundi, Soudan du Sud et au Soudan, et du Nil bleu qui prend sa source en Ethiopie. Le Nil bleu fournit à lui seul en permanence près de 85% du débit d’eau qui parvient à l’Egypte et jusqu’à 95% pendant la saison des pluies.
Le Nil est source de vie au milieu de cette région aride du nord-est de l’Afrique. Le partage de ses eaux est au cœur de nombreuses tensions et d’inquiétudes notamment à cause de la construction d’un barrage par l’Ethiopie sur les eaux du Nil bleu.
Le Grand barrage de la Renaissance, mis en construction en 2011, doit permettre à l’Ethiopie de presque doubler sa capacité de production énergétique. Ce barrage est vital pour ce pays de près de 100 millions d’habitants (2ème pays le plus peuplé d’Afrique) qui affiche un rythme de développement parmi les plus importants du continent.
Un accord signé en 2010 par les 6 pays en amont du fleuve (Ethiopie, Burundi, Tanzanie, Kenya, Rwanda et Ouganda) est venu mettre fin, de facto, au droit de véto obtenu par l’Egypte dans le cadre du traité de 1959 signé avec le Soudan, sur le partage des eaux du Nil.
L’Égypte s’est toutefois opposée à ce projet de construction de barrage, mettant en avant ses droits historiques sur le fleuve. Des droits rejetés par l’Ethiopie qui dénonce l’accord signé sans sa participation, lorsque que le pays était en situation de faiblesse et alors que le Nil bleu prend sa source sur son territoire.
L’ancien président Morsi avait adopté une posture hostile envers l’Ethiopie, déclarant que « toutes les options étaient ouvertes », y compris l’intervention militaire pour détruire le barrage. Son successeur, Abdel Fattah al-Sissi semble adopter une posture moins agressive. Alors que la construction du barrage continue, l’Egypte est plus ou moins contrainte de revenir à la table des négociations.
En août 2015, l’Ethiopie, l’Egypte et le Soudan signent un accord autour du projet : l’Ethiopie s’engage auprès de l’Egypte sur le maintien du débit des eaux du Nil et sur une utilisation restreinte de l’eau pour l’irrigation de ses terres agricoles. Le développement de l’agriculture éthiopienne inquiète en effet l’Egypte qui voit dans ce pays un concurrent potentiel. Le gouvernement égyptien est également préoccupé par le risque d’une dépendance accrue à l’Ethiopie, sur l’accès à l’eau, la fourniture d’énergie et les importations agricoles. Le gouvernement éthiopien s’engage également à fournir au Soudan une électricité à un prix préférentiel. Avec ces garanties, le gouvernement éthiopien espère désamorcer les tensions.
Début 2017, le gouvernement éthiopien annonce sa volonté de modifier les normes du barrage inauguré en décembre 2016 afin de permettre d’accroitre sa capacité de production. Si le gouvernement éthiopien dément tout impact sur le débit du fleuve, les gouvernements égyptien et soudanais dénoncent le comportement de leur voisin. En effet, selon l’accord d’août 2015, tout projet concernant le Nil bleu doit être discuté au préalable entre les trois pays.
Alors que ces pays doivent faire face à des tensions internes et à une forte sécheresse depuis plusieurs années, qui semble s’installer avec le réchauffement climatique, le partage des eaux du Nil demeure source de tensions entre l’Ethiopie, le Soudan et l’Egypte qui considère que le barrage de la Renaissance peut porter atteinte à ses intérêts vitaux.
Kevin Merigot
Diplômé d’un Master 2 en Géoéconomie et Intelligence stratégique et d’un Master 2 en Défense, Sécurité et Gestion de crise de l’école de l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS Sup’), Kevin Merigot est rédacteur occasionnel pour Les Yeux du Monde.