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Quelle soutenabilité pour la société moderne ? [3/4] Chapitre III : La dépendance psychologique à la réalité matérielle actuelle

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Développement durable, résilience, transition énergétique… Autant de termes et concepts de plus en plus présents dans le champ lexical de nos contemporains. Des vœux pieux plus que des constats, tant notre société est structurellement aux antipodes de ces paradigmes.

Cette série intitulée « Quelle soutenabilité pour la société moderne ? » traitera ce sujet au travers de quatre articles. Le premier sera consacré aux conditions matérielles, le deuxième aux nouveaux liens sociaux, le troisième à la structuration psychologique des individus, et enfin le quatrième aux enjeux énergétiques.

Chapitre I : Des conditions matérielles d’existence vulnérables

Chapitre II : Les nouveaux liens sociaux face à la continuité d’activité des secteurs essentiels

Cette série d’articles n’est pas prescriptrice. Elle a pour vocation l’identification des points de blocages et les injonctions contradictoires de nos sociétés faces aux enjeux de demain. Cette rapide synthèse a pour humble ambition de fournir à chaque citoyen les informations nécessaires à la structuration de solutions cohérentes et fonctionnelles.

Chapitre III : La dépendance psychologique à la réalité matérielle actuelle

L’adaptation des individus à leur quotidien

L’adaptation d’un animal à son environnement est la base de la survie, ou non, des espèces. L’être humain n’échappe pas à la règle. C’est pourquoi les conditions de vie matérielles façonnent les univers mentaux des individus. Par exemple, le socialisme est né de l’industrialisation et les femmes se sont émancipées dans un contexte d’équipement matériel des foyers.

L’idée de dépendance alimentaire était quasi impensable pour nos ancêtres. Elle est désormais la norme pour l’immense majorité d’entre nous partout dans le monde. Cette norme confère à chaque individu le sentiment que la sécurité alimentaire est un acquis indiscutable. La société compte sur la bonne réalisation du travail des maillons de la chaîne agroalimentaire pour étancher ses besoins primaires.

La production, la transformation, le conditionnement, l'acheminement et la conservation de la nourriture est totalement déléguée à une chaine d'acteurs dans le monde moderne.
Dans le monde moderne, la production, la transformation, le conditionnement, l’acheminement et la conservation de la nourriture est totalement déléguée à une chaine d’acteurs. Aucun consommateur ne la maitrise totalement.

Pourtant, personne n’a les moyens matériels de faire face à une défaillance dans les rouages. Surtout si la situation perdure. Il n’est plus question, pour l’immense majorité des individus, de compter sur un jardin, un petit élevage ainsi qu’un sellier, pour faire face à une coupure d’électricité de plusieurs semaines rendant inopérants les réfrigérateurs et autres plaques à induction. Résultat, lors du blackout de New-York en 1977, des émeutes ont eu lieu. Il s’agit d’un exemple parmi d’autres des conséquences sécuritaires et sociétales d’une disparition, même temporaire, d’un élément (ici l’électricité) indispensable à notre vie quotidienne.

En cas de défaillance massive, les sentiments de panique et de vulnérabilité seraient donc surement de la partie. Les comportements constatés dans les supermarchés lors de la mise en place du confinement face aux COVID-19 en attestent. La chaîne de production n’a pourtant subi aucun dommage. Les spécialistes expliquent même la ruée sur le papier toilette par ce besoin des individus de contrôler ce qui est à la base de la pyramide de Maslow. Or, nous venons de le voir, nous n’en contrôlant entièrement et individuellement aucun. Nous sommes spécialisés dans notre domaine d’expertise, et dépendons des autres pour tout le reste. Cette perte de contrôle sur sa survie est une source d’angoisse matériellement plus concrète pour le Français de 2020 que le Français de 1900.

La fin du tragique

Le rapport au tragique a lui aussi évolué. Dans nos sociétés, la mortalité infantile s’est effondrée, les famines disparues, les maladies endémiques ont été vaincues par la vaccination, la guerre est reléguée à des milliers de kilomètres ou aux livres d’Histoire.

Le génie scientifique nous fournit des rendements agricoles et une médecine nous ayant totalement fait échapper au tragique de la sélection naturelle darwinienne. La paix n’est plus un intervalle entre deux guerres, mais un acquis dont on oublie la valeur. L’Homme se rêve volontiers en Homo Deus. Il regarde son passé comme une tragédie certes, mais aussi bien souvent comme une fiction, un monde duquel il se serait extirpé définitivement.

Le retour brutal à une situation alimentaire, sanitaire et/ou sécuritaire dégradée serait donc un bouleversement autant matériel que psychologique pour les individus. Les traumatismes individuels et directs, tel que la mort récurrente et visible dans un contexte de guerre ou d’épidémie, sont le quotidien de quelques professionnels, et non plus du citoyen en armes ou voyant s’accumuler les charniers dans son village. Les effets psychologiques du confinement actuels inquiètent déjà , alors que le quotidien des individus n’est que très peu dégradé.

L’imaginaire collectif de notre société est bien plus proche de la fin de l’Histoire que de celui de la continuité. Nos enjeux relèvent d’une optimisation permanente de l’instant présent, et non pas de l’inclusion dans une Histoire héritée et à transmettre. On sacrifie donc bien souvent la prévision, le patrimoine et la souveraineté industrielle sur l’autel de la rentabilité immédiate.

Conclusion

Ce mode de vie n’est possible que grâce à l’énergie abondante et pilotable. Un monde industriel, émancipé des énergies vertes, avec lesquelles composait l’humanité depuis sa naissance. Est-il possible de le maintenir en réduisant notre emprunte carbone ? En réduisant notre vulnérabilité donc notre interdépendance ? Il s’agit du sujet du quatrième et dernier chapitre de cette chronique.

Ressources Bibliographiques :

NOAH HARARI, Yuval, Homo Deus : Une brève histoire de l’avenir, Albin Michel, 2017.

Le Nouvel Obs, « Ruée sur le papier-toilette: pourquoi une telle frénésie ?« , 17 mars 2020

Le Figaro, « L’impact inquiétant du confinement sur l’état psychologique des Français« , 13 avril 2020

France Info, « Angoisses décuplées ou effet libérateur : des psychologues racontent les répercussions du confinement sur leurs patients« , 17 avril 2020

Wikipedia, « New York City blackout of 1977« .

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Charles SIROUX

Travaillant dans la gestion de risque et de crise, il est diplômé d'un M2 en géopolitique et prospective à l'IRIS. Ses thèmes de prédilection sont les enjeux sécuritaires, énergétiques et d'influence, ainsi que les tendances historiques.

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