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Visite du Pape aux Émirats : la réussite du soft power de la tolérance ?

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Début février, le pape s’est rendu aux Émirats Arabes Unis pour une visite historique. C’est la première fois qu’un pontife se rend dans la péninsule arabe. Pour Abou Dabi, cette venue est l’aboutissement d’un long processus diplomatique visant à faire des Émirats, un leader de la tolérance au Moyen-Orient.

Ville de Dubaï, Emirats Arabes Unis
Pendant combien de temps encore les Émirats pourront-ils mettre en œuvre leur soft power de la tolérance ?

Pour les dirigeants émiratis, la visite du chef religieux est un symbole fort qui entérine la « politique de la tolérance » menée depuis plusieurs années déjà. En effet, depuis 2016, la tolérance a été institutionnalisée au niveau étatique. Dotée de son propre ministère et d’un « comité suprême », elle fait partie intégrante de la politique étrangère émiratie. L’action du comité suprême se concentre sur sept domaines : tolérance dans la communauté, dans l’éducation, au travail, dans la pratique culturelle, dans la législation et dans les médias.

Ce programme ambitieux est couronné par un autre objectif majeur : faire des Émirats un « modèle de tolérance ». Ainsi, en novembre 2018, Dubaï a accueilli le premier Mondial de la Tolérance. De plus, le président émirati, Khalifa ben Zayed Al Nahyane, a décidé de faire de la tolérance le thème du débat national de 2019, une tradition annuelle qui vise à affirmer les valeurs de la Fédération.

Un soft power de la tolérance en renfort d’un succès économique 

Depuis les années 2010, les Émirats sont parvenus à s’imposer comme un acteur régional majeur. Le pays a notamment relevé un défi de taille : celui de la diversification de l’économie. Si les autres états du Golfe sont également engagés dans des politiques similaires, Abou Dabi est l’exemple de réussite le plus probant. En effet, la Fédération a misé sur une stratégie d’ouverture aux investisseurs étrangers qui s’est révélée payante. Elle fut la première, parmi ses voisins, à autoriser l’acquisition intégrale d’entreprises locales par des étrangers. Ainsi, les Émirats sont devenus une plaque tournante pour les marchés du transport, de la finance, du commerce et du tourisme.

Cette image de pays accueillant est chérie par les autorités qui misent sur la croissance du tourisme pour se détacher de la dépendance aux énergies fossiles. C’est dans ce contexte que fut inauguré, en 2017, l’extension du musée du Louvre dans la capitale émiratie. Dans une dynamique similaire, le premier temple hindou du pays est en cours de construction et sera finalisé fin 2020. L’érection de cet édifice est accompagnée d’une symbolique forte dans un état où travaillent 2,8 millions d’Indiens (sur une population de 9,4 millions).

Une présence rassurante pour les Occidentaux dans une région troublée

La tolérance religieuse est un aspect particulièrement important dans la mise en œuvre du soft power émirati. De fait, la Fédération a fait de la lutte contre le terrorisme islamiste l’une de ses priorités. Cette stratégie lui a permis de se rapprocher des États-Unis, un allié de taille. De plus, Abou Dabi a, par plusieurs fois, rappelé son engagement pour la protection des communautés chrétiennes, minoritaires au Moyen-Orient. Ce positionnement est perçu favorablement par les Occidentaux qui y voient la possibilité de coopérer avec un acteur modéré aux valeurs semblables.

Une idéologie qui se heurte à la réalité des faits

Si les Émirats se présentent comme les champions de la tolérance et de la diversité, cette idéologie ne semble pas s’appliquer au domaine politique. En effet, le « respect des formes d’expression » est fortement contraint quand il s’agit de critiquer le régime en place. Ainsi, en 2017, Ahmed Mansoor Al-Shehhi, un activiste politique, a été arrêté et condamné, en 2018, pour avoir « insulté le statut et le prestige » de la nation. De fait, la tolérance semble être réservée au domaine culturel et, tout particulièrement, aux cultures étrangères.

De plus, la politique d’ouverture a parfois créé des tensions entre étrangers et populations locales. En effet, les Émiratis ne représentent que 15% de la population totale. Ainsi, certains ont exprimé leurs craintes de voir disparaître la culture émiratie, un thème qui a d’ailleurs été repris par les acteurs politiques. Afin de pallier ces doléances, le gouvernement a assuré avantages économiques et distinctions culturelles aux locaux. Cette politique, sur le long terme, peut s’avérer dangereuse car elle contribue à la mise en place d’une société à deux vitesses.

De même, sur la scène internationale, l’idéologie de la tolérance ne se combine pas toujours avec la réalité des décisions émiratis. Ainsi, dans son combat contre le terrorisme islamiste, Abou Dabi s’est allié à des groupes radicaux comme les milices salafistes au Yémen, afin de défaire ses ennemis.

La stratégie du soft power de la tolérance semble être un succès pour les Émirats. Néanmoins, cette dernière est parfois limitée par la réalité des faits. De plus, l’économie connaît un ralentissement important, en partie dû aux politiques visant à protéger les intérêts des locaux face aux étrangers. Ainsi, l’avenir de la diplomatie de la tolérance pourrait être menacé par des antagonismes nationaux.

Sources

https://www.ispionline.it/it/pubblicazione/geopolitics-tolerance-inside-uaes-cultural-rush-22155

https://worldview.stratfor.com/article/popes-visit-and-emirati-soft-power

https://www.stratfor.com/region/middle-east-and-north-africa/united-arab-emirates

https://worldview.stratfor.com/article/why-uaes-short-term-labor-fix-will-create-long-term-problems

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Clara JALABERT

Clara JALABERT est étudiante en Master International Security à l'école d'affaires internationales de Sciences Po. Elle se spécialise dans l'étude de l'Asie et des risques sécuritaires.

Une réflexion sur “Visite du Pape aux Émirats : la réussite du soft power de la tolérance ?

  • Lucas

    Bonjour,

    Bravo à l’auteure pour cet article, instructif et correct pour autant que je puisse en juger de l’autre côté de la baie (Qatar).

    Comme vous le dites justement en fin de texte, les faits ne reflètent pas toujours le discours. C’est une constante qu’il faut toujours avoir à l’esprit dans le Golfe : c’est l’image qui compte plus que tout. Les monarchies ne reculent devant aucune dépense pour « l’apparence », tandis que la réalité est bien souvent en décalage.

    Petite note au sujet de la population : il est largement admis que les chiffres officiels du taux de population locale/total résidents ne sont pas fiables. Il s’agit d’un sujet politiquement très sensible (surtout en politique intérieure), donc plutôt surévalués. Au Qatar ce taux réels serait plutôt autour de 10% (contre 90% étrangers), aux EAU il serait davantage entre 5 et 10% – à débattre, je n’ai pas la prétention d’avoir un chiffre exact.

    Très bonne continuation,

    LD.

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