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L’Europe frigide : Réflexions sur un projet inachevé – Elie Barnavi – Fiche de lecture

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André Versailles éditeur. Belgique. Novembre 2008. 160 pages.

« C’est la culture […] qui est le ciment de l’Europe »
« C’est la culture […] qui est le ciment de l’Europe »
AUTEUR : Élie Barnavi

Historien israélien, ambassadeur d’Israël en France de 2000 à 2002, spécialiste du XVI° siècle français et européen, professeur d’histoire de l’Occident moderne à Tel Aviv, il est actuellement directeur scientifique du Musée de l’Europe à Bruxelles.

OBJET :

Essai culturel et géopolitique. Grille de lecture de l’état de crise du projet européen.

PROBLEMATIQUE :

Pourquoi le projet européen souffre-t-il de langueur ?

1) Le « non » européen comme révélateur…

L’Union Européenne ne suscite plus l’intérêt de la part de ses ressortissants. Ainsi, Élie Barnavi a entrepris d’écrire cet essai suite aux rejets par référendum de la Constitution Européenne par les Français et Néerlandais en 2005. Il a été conforté dans cette entreprise par le « non » irlandais au Traité de Lisbonne (au moment de l’écriture de l’Europe frigide). L’Union Européenne n’inspire plus le désir à ses citoyens qui avant d’être européens revendiquent l’appartenance à leur patrie, d’où le titre l’Europe frigide. Pourquoi l’Union Européenne ne suscite plus l’intérêt de ses ressortissants ? Le projet des pères fondateurs serait-il arrivé à bout de souffle ?

2) … d’une Europe en pleine crise identitaire

La crise identitaire se pose à partir de la chute du mur de Berlin, le 9 novembre 1989 qui va poser la question délicate : jusqu’où s’étend l’Europe ? En effet, le problème ne se posait pas pour des pays comme l’Espagne et le Portugal, « candidats naturels » à l’UE, voire pour la RDA. Mais que dire de pays façonnés par un demi-siècle de socialisme, « une Europe méconnue, pauvre, aux économies sinistrées » ? Suite aux deux derniers élargissements, l’Europe a souffert d’un élargissement trop rapide et brutal ; elle n’a pas pris le temps de définir les critères de l’européanité au péril de la cohésion de l’UE. L’élargissement effraie : « A l’Est de cette ligne de front devenue imaginaire, on était demandeur d’Europe ; à l’Ouest, on a été saisi d’agoraphobie ». Alors l’élargissement est-il un facteur de la crise identitaire ? Pour Élie Barnavi, il en est surtout le « révélateur ».

THESE :

Pour faire face à cette crise, l’Union européenne doit renforcer son unité, non seulement en assumant son héritage culturel commun, mais aussi en le revendiquant sur la scène internationale.

1) L’Union européenne doit prendre conscience de son unité culturelle

Elie Barnavi définit les quatre piliers qui font la spécificité de la civilisation européenne, à savoir la Grèce Antique (art, démocratie, philosophie), Rome (langue, citoyenneté, souveraineté), les barbares (les « premiers vrais européens », à l’origine de l’Europe des nations), et l’Eglise.  Ce quatrième pilier divise : l’Europe doit dépasser la « querelle des racines chrétiennes de l’Europe » qui entame son unité. En effet les Européens n’ont pas conscience de leur unité, et c’est précisément ce qui affaiblit l’Europe. La civilisation européenne : « une civilisation qui s’ignore ? ». Pourtant « c’est la culture […] qui est le ciment de l’Europe ».

Cette culture s’exprime à travers les « tables de la loi » définissant les valeurs communes de l’Europe. La liberté est la valeur centrale autour de laquelle gravitent rationalité, laïcité, solidarité et égalité. Cependant, cette unité culturelle nécessite un cadre précis : pour Barnavi, un pays peut prétendre à intégrer l’Union Européenne s’il remplit les conditions non seulement géographiques mais aussi historiques. Ainsi, il rejette toute candidature possible de la Turquie, de la Russie et d’Israël.

2) La crise européenne se répercute sur les politiques communautaires

L’Union Européenne manque d’une politique commune efficace en matière d’immigration et la plupart de ses membres confondent diversité culturelle avec multiculturalisme, ce dernier conduisant au communautarisme voire à la ghettoïsation. « Toute immigration est un contrat entre l’immigré et la société d’accueil. Celui-là renonce à une part de ce qu’il était, celle-ci lui fait une place en son sein […] avec tout ce que cela implique d’adhésion formelle, culturelle et affective. »

L’Europe peine à mener une politique cohérente face aux pays méditerranéens. Mais malgré les divergences entre les pays membres, sa ténacité révèle une réelle volonté de politique commune. Encore lui reste-t-il à concrétiser ses efforts.

La faiblesse des politiques européennes s’exprime également par les relations avec les pays en développement et particulièrement avec ses anciennes colonies. Barnavi reprend l’idée de Pascal Bruckner et dénonce une double culpabilité qui pèse sur l’Europe : la colonisation et la décolonisation. Elle fait ainsi preuve d’une attitude passive qui l’handicape dans sa volonté de s’imposer à l’échelle internationale.

S’appuyant sur la métaphore de Robert Kagan rapprochant les Etats-Unis de Mars, Dieu de la guerre, symbole de la force, et l’Europe de Vénus (séduction, diplomatie), il montre en quoi le refus catégorique de l’usage de la force peut nuire à l’Europe. « Face à une puissance sans équivalent dans l’histoire, […] l’Europe n’existe tout bonnement pas ». Pour  Barnavi, « la PESC ou PESDC est au mieux une promesse, au pire une farce ». L’Europe a besoin d’une réelle politique de défense si elle veut s’affirmer en tant que puissance.

3) En bon diplomate, l’auteur nous propose 7 solutions pour résoudre cette crise européenne :

  • Ÿ  Approfondir l’union pour que l’Europe s’affirme comme un réel vecteur de la mondialisation, devenant ce que les altermondialistes appellent « le cheval de Troie de la mondialisation ».
  • Ÿ  Que l’Europe prenne conscience de sa crise identitaire, qu’elle définisse et affirme ce qu‘elle est et ce qu‘elle veut être.
  • Ÿ  Que les Européens « retrouvent l’envie de faire de la politique ensemble », et ce notamment en multipliant les coopérations renforcées.
  • Ÿ  Que l’Union Européenne se concentre sur la mise en œuvre de réelles politiques communautaires au lieu de se perdre dans des considérations secondaires et lourdeurs bureaucratiques.
  • Ÿ   Renforcer la portée symbolique de la politique européenne : élections pour le parlement le même jours dans tous les pays membres, constitution de listes transnationales, siège au nom de l’Union Européenne dans les institutions internationales.
  • Ÿ  Définir les « règles de bonne conduites européennes » afin d’en finir avec cette « règle de la jungle » qui gouverne l’Europe. Voire même considérer des sanctions envers les membres qui entraveraient le processus communautaire (Barnavi réhabilite l’attitude de De Gaulle face aux Britanniques).
  • Ÿ  Rétablir l’idéal des pères fondateurs d’une Europe fédérale, tout en étant conscient qu’un idéal n’est pas là pour être atteint mais pour donner sens (face à la primauté de l‘État-nation qui persiste dans l‘esprit des Européens).

DISCUSSION DE LA THESE :

1) Le point de vue d’Elie Barnavi, israélien, est d’autant plus intéressant qu’il a, comme il le dit lui-même,  « un pied dedans, un pied dehors ». Il jouit non seulement d’une large connaissance de la culture européenne mais aussi de l’expérience de cette culture. Il peut ainsi prendre plus de recul que n’importe quel citoyen européen. Cependant, ce point de vue est marqué par sa radicalité et, partant, s’expose aux critiques. En témoigne son opposition catégorique à la candidature de la Turquie, Russie et Israël, non négociable selon lui. Peut-on exclure d’emblée un pays comme la Turquie, candidate depuis 1963 et qui serait un atout indéniable, économiquement parlant tout du moins ?

2) Concernant la PESD, Barnavi défend la mise en place d’une politique militaire commune, afin que l’Union Européenne ne reste pas au banc des nations. Il parait en effet primordial de traduire enfin l’ambition politique de l’Europe sur le plan institutionnel. Cependant, une PESC est difficilement concevable sans un mode de décision intergouvernemental, fondé sur le principe d’unanimité que récuse précisément Barnavi. Peut-on envoyer des soldats européens se faire tuer à la majorité qualifiée ? Si oui, des soldats français auraient pu être envoyés en Irak dans un conflit auquel la France s’opposait.

3) L’auteur déplore tout au long du livre le rejet du traité de Lisbonne par les Irlandais. Le « oui » irlandais du 4 octobre 2009 change la donne. La majorité qualifiée s’impose, l’immigration devient partie intégrante de la politique communautaire, les pouvoirs du haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité commune sont renforcés. Le système institutionnel va-t-il se débloquer ?

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