Gazprom, la Russie et l’Ukraine
Gazprom est un cas d’école en géopolitique. L’exemple parfait d’une collusion entre politique et monde des affaires afin de servir les ambitions géopolitiques d’un Etat. Car il est un fait que Vladimir Poutine et les élites dirigeantes russes utilisent directement l’entreprise d’Etat Gazprom, véritable Léviathan du gaz naturel, pour maintenir l’Ukraine dans la sphère d’influence directe de Moscou.
Posons schématiquement la situation.
Vladimir Poutine, dirigeant incontesté de la Russie, est, on le sait, un nostalgique de la grandeur Russe. Il n’a eu de cesse depuis son accession au pouvoir d’essayer de rétablir l’ancienne sphère d’influence soviétique en combattant les « ingérences » occidentales. Les exemples d’interventions (plus ou moins « musclées ») sont nombreux : Géorgie, Ouzbékistan, Estonie…
La crise avec l’Ukraine commence en 2004, avec la révolution orange : les ukrainiens (majoritairement les habitants de l’ouest du pays) témoignent d’une puissante volonté de rapprochement avec l’Europe. Inacceptable pour Moscou. Mais comment agir ? C’est là que Gazprom entre en jeu.
Cette compagnie est le principal fournisseur en gaz naturel de l’Europe, et la majorité de ce gaz transite par l’Ukraine. Ce pays, pour lequel le gaz est au centre de la politique énergétique, est lui-même extrêmement dépendant du géant slave : l’Ukraine est le deuxième client de Gazprom, après l’Allemagne.
A partir de là, tous les éléments sont en place pour le Kremlin : la Russie peut s’assurer que l’Ukraine restera définitivement dans son giron.
Trois stratégies sont mises en place dans ce but.
Tout d’abord, la corruption des élites dirigeantes ukrainiennes, afin de s’assurer que celles-ci restent pro-russes.
Ensuite, la coercition brutale. Moscou n’hésite pas à « couper le robinet » quand les protestations de Kiev deviennent trop bruyantes, menaçant ainsi l’Ukraine, dont toute l’économie est « gazo-dépendante », d’effondrement complet. C’est ce qui a eu lieu le 1er janvier 2006 et le 2 janvier 2009. Dans les deux cas, les autorités ukrainiennes n’ont cédé qu’au bout de deux jours…
Enfin, la menace macro-économique. Sur les dépenses de l’Ukraine, car le pays, payant son gaz 60% plus cher qu’un prix normal selon les analystes spécialisés, se trouve par là même fortement endetté face à la Russie. Sur ses recettes, car Gazprom menace l’Ukraine avec son projet d’oléoduc « southstream ». Cet oléoduc, véritable absurdité économique pour Gazprom, permettrait néanmoins à l’entreprise d’éviter l’Ukraine pour fournir l’Europe. Kiev serait ainsi privé des droits que le pays perçoit sur le transit de la matière première.
L’objectif de Moscou est de rallier l’Ukraine à un projet d’union douanière avec la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan (par un hasard des chiffres assez surprenant, Gazprom offrirait une réduction de 60% sur le prix du gaz en cas d’accord ukrainien…).
Si l’Ukraine acceptait, tout rapprochement avec l’UE se retrouverait reporté aux calendes grecques…