Cessez-le-feu en Syrie: le tour de force du Kremlin
Ce vendredi 12 février, l’accord conclu dans la nuit du 11 au 12 février à Munich, entre le ministre des Affaires étrangères russe Sergueï Lavrov et son homologue américain John Kerry a largement été remarqué dans la presse internationale. Cet accord prévoit en outre un cessez-le-feu partiel en Syrie, qui doit être mis en place au plus tard dans une semaine. Mais au-delà de la portée symbolique de l’événement (c’est la première négociation pouvant être considérée comme réussie après les tentatives manquées des rencontres à Genève), que stipule réellement cet accord ? Et surtout, que doit-on lire entre les lignes de cet « exploit » diplomatique ?
Le cessez-le-feu signé à Munich doit entrer en vigueur sous une semaine et a pour but d’une part de limiter les bombardements russes et occidentaux, et d’autre part de répondre à l’urgence humanitaire auprès des civils syriens, victimes à la fois des bombardements et de pénuries alimentaires. Mais cet accord est « partiel ». Il a pour vocation de cesser les bombardements de zones civiles, des bombardements amplifiés depuis l’offensive menée conjointement par l’aviation russe et l’Armée régulière syrienne début janvier pour tenter de reconquérir Alep, au nord-ouest du pays. Par contre, il ne concerne pas les groupes terroristes désignés comme tels par le Conseil de Sécurité des Nations Unies (l’Organisation de l’Etat Islamique et le front Al Nosra font partie de cette liste). En outre, M. Lavrov s’est empressé d’annoncer, à la suite de la signature, que les bombardements russes à l’encontre des groupes terroristes ne faibliraient pas dans les prochaines semaines. De là à s’interroger quant à la pertinence de l’accord du 12 février, il n’y a qu’un pas…
Le 30 septembre 2015, la Russie entrait en effet dans le conflit, avec pour seul et unique but affiché, la lutte contre les groupuscules terroristes. Les premiers mois de bombardements russes ont permis de constater l’extrême nébulosité que le Kremlin pouvait accorder au terme de « terroristes », et surtout l’appui logistique que fournissait la Russie au régime de Bachar al-Assad. Il est donc difficile d’imaginer aujourd’hui que le cessez-le-feu entravera la dynamique russe en Syrie.
L’accord tel qu’il est formulé aujourd’hui va au contraire renforcer l’influence russe dans la région. Depuis son intervention du 30 septembre, la Syrie semble être la scène choisie par le Kremlin pour recouvrer un rôle de leader sur l’échiquier international. Ce que Moscou décroche avec ce cessez-le-feu, c’est une relation à nouveau étroite entre la Russie et les Etats-Unis, une relation que la crise ukrainienne avait fortement mise à mal. Parce qu’elle a réussi depuis quelques mois à faire comprendre aux Occidentaux qu’il y avait certainement, en Syrie, bien pire que le régime de Bachar al-Assad, la Russie se trouve désormais en position de force et peut se féliciter de « négocier » un accord qui ne lui demande, en l’état, aucun effort de compromission.
Reste à savoir comment Moscou utilisera cette position de leader diplomatique dans la résolution du conflit. Pour l’heure, deux points restent encore très obscurs. Premièrement, la question de Bachar al-Assad, qui cristallise toujours les tensions entre Russes et Américains, ces derniers n’acceptant pas al-Assad comme faisant partie d’un plan de transition politique. Secondement, la question d’une intervention au sol. Jusqu’à peu, cette idée était totalement exclue par le Kremlin qui ne voulait se risquer à l’enlisement. Mais symboliquement au moins, le cessez-le-feu poussera les Occidentaux à s’intéresser de près aux cibles des bombardements russes. Limités, les bombardements russes ne suffiraient plus à garantir un appui solide à l’Armée régulière syrienne, ainsi qu’au Hezbollah libanais et aux Pasdarans iraniens, alliés au sol des Russes en Syrie. Le positionnement de quelques détachements militaires russes pourrait alors être envisagé, en particulier autour d’Alep, zone stratégique pour le régime de Damas. Une intervention dans cette région permettrait, au-delà du soutien à Bachar al-Assad, de s’assurer les moyens de tempérer l’agitation d’un voisin turc très polémique ces derniers mois…