La « Yougonostalgie », mémoire d’un âge d’or glorifié
La Yougoslavie appartient à une époque révolue, celle du Maréchal Tito et de l’existence du mouvement des non-alignés. Les guerres ayant déchiré cette République fédérale ont accouché de plusieurs pays qui forment aujourd’hui les Balkans occidentaux. Mais malgré ces évolutions, il subsiste encore dans l’inconscient collectif de certaines populations le souvenir d’un « âge d’or » yougoslave. Redoutée par certaines élites politiques, soumise à un phénomène de marchandisation (circuits touristiques, produits de « l’époque yougoslave »), cette yougonostalgie fait avant tout référence à une époque où la vie semblait meilleure, à la fois sur la scène internationale, mais aussi sur le plan économique, social et culturel.
Le souvenir idéalisé d’un Etat puissant
La nostalgie des temps socialistes se révèle être un phénomène « vivace » comme aime à le rappeler Milica Popovic[1]. Pour les populations qui partagent cette mémoire glorifiée, la Yougoslavie était une puissance stabilisatrice à l’intérieur de ses frontières, et dont la reconnaissance internationale était conséquente.
L’Etat yougoslave est en effet perçu comme « l’âge d’or » d’une époque dans laquelle les différences étaient gommées et la communion entre les peuples des différentes républiques encouragée. Cela n’est pas sans rappeler la devise yougoslave : « Fraternité et unité » (Bratstvo i jedinstvo). Cette glorification de la Yougoslavie exprime aussi l’idée d’un pays développé, qui a su offrir à ses citoyens une stabilité économique (principe d’autogestion des entreprises, augmentation du pouvoir d’achat…), sociale et sécuritaire tout en promouvant une identité yougoslave motrice de l’unification du pays. L’ouverture des frontières intérieures et extérieures permettait quant à elle aux citoyens yougoslaves de voyager assez facilement d’une république à une autre, ainsi qu’à l’ouest.
Sur la scène internationale, la Yougoslavie est réputée pour sa position atypique puisque bien qu’elle ait été un pays socialiste, elle n’a jamais souhaité intégrer le bloc soviétique et entrer dans le giron de l’URSS. C’est en effet en 1948 que le Maréchal Tito et Staline prononcent une rupture politique entre les deux Etats, du fait de divergences idéologiques et d’un réel désir d’émancipation du leader yougoslave. Rapidement, le pays devient un des leaders du mouvement des non-alignés au sein des Nations unies et il sera porteur d’une troisième voie diplomatique tout au long de la Guerre froide.
La mort en 2013 de celle qui fut l’épouse du Maréchal Tito (lui-même décédé en 1980), Jovanka Broz, est apparue comme l’incursion éphémère d’un passé idéalisé dans lequel il était possible de garantir la paix sociale, la défense d’une culture propre à cette région et l’existence d’un Etat puissant sur la scène internationale. Mais cette yougonostalgie doit aussi être interprétée comme un cri de l’âme face aux difficultés économiques et sociales actuelles qui traversent les Etats des Balkans occidentaux.
Une mémoire qui fait appel au passé pour mieux appréhender le présent
La libéralisation brutale connue par les nouveaux Etats issus de l’éclatement de la Yougoslavie dans les années 90 et la mise en place du libre marché n’ont pas eu que des effets positifs. Aujourd’hui, différents pays tels que la Serbie, la Croatie, la Bosnie-Herzégovine font face à un taux de chômage relativement élevé, à des salaires bas et à des conditions de vie parfois difficiles pour une frange de la population. Dès lors, la yougonostalgie devient un espace mémoriel dans lequel il est agréable de se plonger, quitte à idéaliser un système aujourd’hui révolu. A tel point que cette glorification est redoutée par les élites politiques, qui forgent leur légitimité sur la dissolution de la Yougoslavie telle que dirigée par le socialisme du Maréchal Tito. Ainsi, différents récits à posteriori sont venus remplacer les mythes écrits par le régime socialiste yougoslave afin de pousser dans l’ombre certains pans de son histoire.
En réalité, loin d’imaginer le retour d’un Etat yougoslave, l’existence de cette mémoire au sein des populations issues de l’ex-Yougoslavie doit plutôt être perçue comme un appel du cœur de populations désœuvrées face aux difficultés économiques et sociales actuelles. Mais pas seulement. Il existe dans cette glorification du passé un caractère émancipateur, qui s’exprime par une volonté d’approfondissement de la coopération régionale, tant sur le plan économique, social, que culturel. Il existe en effet une culture cinématographique et musicale yougoslave omniprésente dans les sociétés actuelles au sein de cet espace régional[2]. Le film « Cinema Komunisto » de Mila Turajlic (2011) ou encore le groupe Bijelo dugme (fondé par le musicien Goran Bregovic) en sont de puissants symboles.
Si cette yougonostalgie n’a pas trouvé de défenseurs et un écho suffisant sur la scène politique des différents Etats, elle est en tout cas l’expression d’un désir d’une plus grande communion entre les pays de l’espace post-yougoslave. La France a accueilli en juillet 2016 un Sommet sur les Balkans occidentaux avec pour objectif l’intensification de la coopération régionale entre les différents Etats, facteur clé de leur stabilité et leur prospérité.
[1] POPOVIC Milica, « La Yougonostalgie – les méandres des mémoires post-yougoslaves », CERI, Sciences Po, [en ligne], http://www.sciencespo.fr/ceri/fr/content/la-yougonostalgie-les-meandres-des-memoires-post-yougoslaves , juin 2016
[2] POPOVIC Milica, « La Yougonostalgie: à la recherche de la patrie perdue », Revue Regard sur l’est, [en ligne], http://www.regard-est.com/home/breve_contenu.php?id=1310, 2012