Fin de la parenthèse démocratique en Birmanie ?
Dix ans après la fin de la dictature militaire, l’armée birmane a repris de force par un coup d’État, ce lundi 1er février 2021, la totalité des pouvoirs en Birmanie. Le président de la République Win Myint et la cheffe du gouvernement civil Aung San Suu Kyi ont été arrêtés. Les nouveaux dirigeants militaires accusaient le gouvernement destitué de ne pas avoir su remédier aux « énormes irrégularités » qui, selon eux, eurent lieu au cours des élections législatives de novembre 2020.
La date du 1er février 2021 scelle-t-elle la fin de la « parenthèse démocratique » en Birmanie ? S’il est encore trop tôt pour en juger, le coup d’État opéré par la Tatmadaw (nom birman de l’armée) replonge le pays dans les souvenirs amers de la Dictature militaire (1962-2011). La Tatmadaw a cédé à ses vieux démons. Sous prétexte de maintenir « l’unité » et la « stabilité » du pays, l’armée birmane a arrêté la leader charismatique Aung San Suu Kyi et a repris de force la totalité des pouvoirs. Les postes clefs de l’administration ont été attribué à des militaires. Le commandant en chef de l’armée Min Aung Hlaing est ainsi devenu le détenteur des pouvoirs législatif, administratif et judiciaire. Le général Myint Swe récupère le poste de président de la République par intérim. Par ailleurs, le nouveau gouvernement militaire a décrété la mise en place de l’état d’urgence pour la durée d’un an, à l’issue de laquelle il a été annoncé que de nouvelles élections législatives seront organisées.
A l’origine du coup d’État : les résultats des élections législatives de novembre 2020
La menace d’un coup d’état planait sur le pays depuis les résultats des élections législatives de novembre 2020. Ces élections furent largement remportées par le parti d’Aung San Suu Kyi, la Ligue nationale pour la Démocratie (LND), au pouvoir depuis 2015[1]. Le Parti de l’Union, de la solidarité et du Développement (PUSD), parti politique allié à l’armée, subit quant à lui une cuisante défaite. Suffisant pour susciter l’ire de l’armée. Par la voix de certains généraux, l’armée s’était à partir de ce moment lancée dans une campagne de contestation des résultats et de dénonciation de « cas de fraudes massives » dans les bureaux de vote. Par ailleurs, l’armée avait exigé que la commission électorale, dirigée par le gouvernement, publiât la liste des électeurs à des fins de vérification. Une demande à laquelle le gouvernement refusa de répondre. Arguant ainsi d’un « manque de transparence » démocratique de la part du gouvernement, l’armée jugea « nécessaire et légitime » le renversement du gouvernement alors en place.
Imposture démocratique ?
Cependant, cette posture de protecteur de la démocratie adoptée par l’armée birmane peine à convaincre au niveau international. En plus de la cheffe du gouvernement civil et du Président, de nombreux ministres, députés, militants et intellectuels liés au LND ont été arrêtés au cours de cette journée. La prise du pouvoir par la force des militaires semble ainsi bien plus s’expliquer par la peur de l’armée de voir ses pouvoirs et son influence au sein du système politique birman[2] diminuer. Avec la victoire écrasante du parti d’Aung San Suu Kyi aux législatives 2020, l’armée a craint des changements dans la Constitution de 2008 rédigée dans l’intérêt de l’armée[3].
Des intérêts économico-financiers
L’imposture militaire est d’autant plus mise en lumière lorsque sont évoqués les intérêts économiques du général Min Aung Hlaing dans son ascension au pouvoir. En effet, comme le révèle l’ONG « Justice for Myanmar »[4], le général Min Aung Hlaing est le principal actionnaire des deux conglomérats militaires les plus importants en Birmanie (la MEC et la MEHL)[5]. Ces deux conglomérats à la structure plus qu’opaque, baigneraient dans des activités de trafics en tout genre[6] dont les retombées économiques profiteraient exclusivement à la richesse privée des plus haut gradés de l’armée. Depuis cette perspective, il est aisé de comprendre l’attachement du général Min Aung Hlaing, et même plus généralement de la Tatmadaw à s’assurer de la mainmise de l’armée sur le pouvoir politique. Le contrôle sur le politique garantit les intérêts économiques réservés à l’armée.
Le parti du LND a exhorté la population birmane à « ne pas accepter » ce putsch et à « réagir à l’unanimité ». Son leader Aung San Suu Kyi, depuis sa parution devant la Cour Pénale Internationale concernant son inaction devant les crimes perpétrés contre les Rohingyas, ne jouit plus de la même aura. Reste à savoir quelle sera la réaction du peuple birman.
[1] En novembre 2020, la LND remporta la majorité absolue dans les deux chambres parlementaires.
[2] https://www.francetvinfo.fr/monde/asie/birmanie-six-questions-sur-le-coup-d-etat-militaire-qui-a-renverse-aung-san-suu-kyi_4279549.html
[3] La Constitution de 2008 assure 25% des sièges du Parlement avec un pouvoir de blocage à l’armée, et assure également à l’armée le ministère de l’Intérieur et de la Défense.
[4] https://www.justiceformyanmar.org/stories/who-profits-from-a-coup-the-power-and-greed-of-senior-general-min-aung-hlaing
[5] La Myanmar Economic Corporation MEC et la Myanmar Economic Holdings Limited MEHL sont deux conglomérats militaires birmans appartenant à la Tatmadaw qui comprennent aussi bien sociétés de télécoms, banques ou aciéries.
[6] Notamment dans le secteur économique de l’exploitation du jade et des pierres précieuses. Secteur économique estimé à 27 milliards d’euros en Birmanie.