Héritages de systèmes: Des stratégies coloniales plurielles (1/2)
Quelle place peut-on aujourd’hui donner à l’identité même d’un système colonial sur le développement actuel des anciens territoires colonisés? A-t-elle de l’importance?
A l’origine: un choix colonial
Comme le rappellent les chercheurs Daron Acemoglu, Simon Johnson et James A. Robinson, on ne peut parler de systèmes coloniaux équivalents lorsque l’on considère la Nouvelle Zélande et la République démocratique du Congo. Ceci s’explique, en effet, par des stratégies coloniales différentes. Selon ces auteurs, les taux de mortalité présents dans les territoires considérés y jouèrent un rôle tout particulier. Les conditions de santé, et notamment les possibles maladies permettant ou limitant l’installation des colons, eurent une incidence sur les perspectives stratégiques de l’usage des terres conquises. Dans le cas de terres propices à l’installation, tel que ce fut le cas pour l’Australie, les nouveaux arrivants s’établirent et construisirent des institutions prônant l’état de droit et l’investissement. Dans le cas inverse, une stratégie “extractive” portée sur l’extraction de matières premières à visée commerciale fut privilégiée. On peut ici prendre pour exemple l’Amérique Latine sous l’emprise espagnole et portugaise au 17ème et 18ème siècle. L’acquisition de métaux précieux y était alors l’objectif premier. Dans ce type de colonies, les institutions – dont l’objectif était la transmutation rapide des matières premières jusqu’en métropole – auraient ralenti les progrès économiques des pays colonisés et leurs capacités d’investissement.
Des stratégies coloniales divergentes
A cette idée, les chercheurs Matthew Lange, James Mahoney et Matthias vom Hau apportent une nuance. Selon eux, l’environnement bactérien n’est pas le seul facteur à prendre en compte. Qu’il s’agisse de l’Espagne ou de la Grande Bretagne par exemple, le taux de mortalité ne l’a pas toujours emporté face à la présente richesse minérale ou agricole. En 2002, les chercheurs Engerman et Sokoloff prenaient en effet le parti de défendre le type de terrain, de démographie et de climat comme facteurs de l’établissement colonial et de l’installation d’institutions extractives. Des pays tels que la Barbade, Cuba, Saint Domingue ou le Brésil par exemple, virent rapidement leurs économies se spécialiser dans la production de sucre dès lors où leurs sols permettaient une production massive de cette culture. En comparaison, une plus large proportion de colons s’installa dans des régions telles que le Canada et les Etats-Unis d’aujourd’hui, propices à la culture de céréales.
La démographie et le niveau de développement des régions eurent également leur rôle à jouer dans le choix d’implémentations coloniales. La couronne espagnole privilégia ainsi les régions plus développées et peuplées, sources naturelles de main-d’œuvre. D’autres empires coloniaux, tels que l’Empire britannique, choisirent l’option inverse et se reposèrent sur l’importation d’esclaves. Ces derniers représentèrent d’ailleurs près de 75% des flux migratoires entre 1700 et 1760. Ils constituèrent une main d’œuvre croissante dans les Amériques, notamment au sein des colonies britanniques et portugaises. L’importation de ces populations venues principalement d’Afrique favorisa l’expansion de plantations d’esclaves, et renforça, de fait, les inégalités internes et les institutions extractives coloniales.
Influences coloniales: vers des institutions inégales
Selon ces mêmes chercheurs, le choix entre stratégies coloniales extractives et stratégies d’installation, amena la création de différents types d’institutions. Lorsqu’elles furent extractives, ces dernières renforcèrent d’autant plus le développement de sociétés inégales, affectant ainsi les futures opportunités de développement des pays colonisés.
Sources
Acemoglu, Daron, Simon Johnson, and James A. Robinson. 2001. « The Colonial Origins of Comparative Development: An Empirical Investigation.« American Economic Review, 91 (5): 1369-1401.DOI: 10.1257/aer.91.5.1369
Colonialism and Development: A Comparative Analysis of Spanish and British Colonies. Matthew Lange, James Mahoney, and Matthias vom Hau. American Journal of Sociology 2006 111:5, 1412-1462