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La rencontre entre les deux Corées peut-elle faire évoluer l’équilibre stratégique du 38e parallèle ?

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Après des mois de tensions entre la Corée du Nord et les États-Unis, la rencontre entre Kim Jong Eun et Moon Jae In peut paraître improbable et inespérée. Depuis son accession au pouvoir en 2011, Kim Jong Eun, a multiplié les essais nucléaires et les lancements de missiles balistiques. En outre, il cherche à faire reconnaître son régime comme une nation à part entière par les États-Unis. Le 27 avril 2018, les dirigeants des deux Corées ont signé la déclaration de Panmunjom [1]. Elle ouvre la voie à une longue et complexe séquence politique et diplomatique. Chacun des acteurs va chercher à tirer de substantiels bénéfices politiques, économiques et stratégiques de ce dialogue inter-coréen.

Un rapprochement commencé depuis près d’un an

Rencontre historique entre Moon Jae In et Kim Jong Eun lors du premier sommet inter-coréen depuis 11 ans.
Rencontre historique entre Moon Jae In et Kim Jong Eun lors du premier sommet inter-coréen depuis 11 ans.

Le rapprochement inter-coréen s’est amorcé dès la fin l’année 2017. Moon Jae In succède en mai 2017 à Park Geun Hye (conservatrice) et tente une politique d’ouverture envers le nord. Cela ne s’était pas vu depuis la «sunshine policy» initiée par Kim Dae Jong et Roh Moo-hyun de 1999 à 2008. De son côté, le régime de Pyongyang a annoncé le 3 décembre 2017, «une brillante victoire» [2] de la Corée du Nord qui a complété ses forces nucléaires nationales. Peu après, il a annoncé sa participation aux Jeux Olympiquex de Pyeongchang.
Cela signifie deux choses. Premièrement, la Corée du nord a atteint ses objectifs technologiques et militaires. Elle est en mesure de riposter à toute attaque visant son territoire. Deuxièmement, maintenant qu’elle détient l’arme nucléaire, son objectif est de discuter, au plan politique, d’égal à égal avec les États-Unis. Kim Jong Eun peut donc lancer des négociations. Elles lui permettront de sanctuariser son régime, d’être reconnu et de bénéficier d’investissements qui font défaut.
Ce sommet a vu des signes de bonne volonté de part et d’autre. Kim Jong Eun s’est engagé à mettre fin aux essais nucléaires et balistiques. Il a pu s’afficher comme un homme respectable au yeux des médias. Moon Jae In, lui, peut se féliciter de sa politique de la main tendue. Sur le plan symbolique ce sommet est une réussite inter-coréenne.

Un sommet inédit à fort portée symbolique

Ce sommet, par son ambition, pourrait raviver les avancées de la « déclaration conjointe Nord-Sud » du 15 juin 2000. Ce document avait pour objectif de développer les projets de coopération économique Nord-Sud et d’entamer des pourparlers entre les autorités des deux Corées sur divers sujets, notamment militaires.
Toutefois, les signes de bonne volonté affichés par Kim Jong Eun ne lui feront pas renoncer à court terme à son « Épée chérie » [3], l’arme nucléaire. Comme le rappelle Antoine Bondaz, elle est inscrite dans la constitution nord-coréenne depuis 2012 et légitime le pouvoir de Kim Jong Eun.
Pour rappel, la politique du Byungjin [4] est lancée par Kim Jong Eun lorsqu’il succède à son père en 2011. Elle consiste à développer en parallèle les programmes nucléaire et économique. Pour le moment, la mesure semble de rigueur. Le régime Pyongyang n’a pas annoncé l’arrêt ou le démantèlement de son programme nucléaire. Cela sera conditionné à des garanties politiques et économiques qui pourront lui être octroyées par la Chine, les États-Unis ou la Corée du Sud. En outre, cette négociation peut se compliquer davantage car Donald Trump souhaite une dénucléarisation complète de la Corée du Nord. A cela s’ajoute les intérêts de la Chine, alliée de Pyongyang, qui ne souhaite pas une augmentation de la présence américaine près de sa frontière.

Vers une nouvelle donne géopolitique en Asie du Nord-Est

A l’issue de ce sommet d’avril, deux éléments sont à retenir : la volonté de paix et de dénucléarisation de la péninsule. Cependant, le chemin reste encore long à parcourir. Aucun traité de paix n’a pour l’heure été signé entre les deux Corées. Le régime de Pyongyang conserve une capacité de dissuasion conventionnelle. Elle lui permet de frapper Séoul, distante d’une cinquantaine de kilomètre de la zone démilitarisée.
De son côté, la Corée du Sud, comme le Japon, n’envisagent ni l’un ni l’autre de remettre en cause leur alliance militaire avec les États-Unis. Si un traité de paix est signé entre les deux Corées, la Chine et les États-Unis, auraient certainement voix au chapitre lors des négociations préalables. Cela remettrait en cause un équilibre des forces vieux de 65 ans, qui a renforcé la présence américaine dans la zone pacifique. La Chine, qui a toujours souhaité la stabilité de la péninsule, sa dénucléarisation et la reprise du dialogue, ne peut que se réjouir d’une telle avancée. Cependant, le nouvel équilibre qui devrait émerger pourrait confirmer la politique expansionniste chinoise dans le Pacifique au détriment des États-Unis, si la Corée du Sud se désolidarise peu à peu de l’allié américain.

[1] « Un sommet pour l’Histoire entre Moon Jae-in et Kim Jong-un », KBS world radio, 4 avril 2018, en ligne, <http://rki.kbs.co.kr/special/northkorea/contents/news/news_view.htm?No=62499&lang=f>.

[2] « Brilliant Victory of Korean People » naenara news, kcna, 3 decembre 2017, en ligne, <https://kcnawatch.co/newstream/1512424842-915072923/brilliant-victory-of-korean-people/>.

[3] Antoine Bondaz, « Corée du Nord et Corée du Sud : bilan d’une rencontre historique », les enjeux internationaux, france culture, 30 avril 2018, en ligne, <https://www.franceculture.fr/emissions/les-enjeux-internationaux/coree-1>.

[4] « Byungjin (Parallel Development) », global security, <https://www.globalsecurity.org/military/world/dprk/byungjin.htm>.

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