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La Coupe du monde en Russie, entretien avec Jean-Baptiste Guégan, co-auteur de Football Investigation – Les dessous du football en Russie.

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Jean-Baptiste Guégan est enseignant, journaliste et expert en géopolitique. Il a dirigé la rédaction de Football Investigation. Les dessous du football en Russie paru chez Bréal en 2018 et co-écrit avec Quentin Migliarini et Ruben Slagter.

Jean-Baptiste, vous venez de co-signer Football Investigation – Les dessous du football en Russie paru aux éditions Bréal, est-ce que cette Coupe du monde organisée par la Russie est différente des autres ?

L’obtention par la Russie de la Coupe du monde en décembre 2010 avait surpris. En effet, elle est sortie vainqueur de son duel avec l’Angleterre, pays où le football est né et avec un ambassadeur de poids à l’époque, David Beckham. Malgré la surprise, cette obtention est passée relativement inaperçue, puisqu’au même moment, se jouait l’attribution de l’édition suivante, remportée par le Qatar au détriment des Etats-Unis. Cette édition 2018 est donc organisée en Russie, une première pour le pays. Ce qui peut étonner, puisque la Russie est une place forte du football européen, notamment dans sa période soviétique.
Mais cette Coupe du monde est tout de même à part quand on regarde le statut de la Russie : la compétition est confiée à un état ré-émergent qui pratique une politique autoritaire et qui contrairement aux précédentes éditions, est un acteur qui s’oppose frontalement aux politiques occidentales.

Quels sont les enjeux géopolitiques de cette compétition ?

La première des choses est que le fait d’accueillir la Coupe du monde a un coût : 21 milliards de dollars concernant la Russie. On peut se demander pourquoi. La première des motivations pour le gouvernement russe est de se placer dans une logique d’aménagement et de valorisation du territoire. Un domaine dans lequel la Russie a du retard en dehors de Moscou et Saint-Pétersbourg. Cette politique d’investissement concerne notamment les transports et les infrastructures de plusieurs villes hôte de la Coupe du monde comme Saransk ou Iekaterinbourg. L’enjeu pour le pouvoir russe est également de renforcer ses liens avec les pouvoirs locaux.
Autre enjeu pour le Kremlin: l’opération de communication autour de cette Coupe du monde. Son objectif principal est de renforcer le leadership de Vladimir Poutine sur les institutions russes, à travers tout un faisceau de valeurs qui va de la fierté à la force. Il y a donc une logique d’affirmation de la puissance et la volonté de valoriser la réussite russe, tout en flattant l’unité et la fierté du peuple russe.
Enfin, il y a l’enjeu économique. Vladimir Poutine veut valoriser le patrimoine et la culture russe pour y attirer des touristes étrangers. La Russie accueille aujourd’hui 24 millions de touriste, soit moins que l’Autriche. Le Président russe sait que si les touristes viennent, les investisseurs suivront. Il veut ainsi présenter d’autres villes que Saint-Pétersbourg et Moscou et sortir des stéréotypes habituels concernant la Russie (Vodka, Sibérie, Tchétchénie). En profitant du boom actuel du tourisme mondial, la Russie pourrait également trouver un bon moyen de contourner les sanctions internationales.

L’organisation de la coupe du monde permet à Vladimir Poutine de renforcer son leadership en Russie.

Les hooligans russes sont souvent présentés comme le danger principal de cette Coupe du monde, qu’en pensez-vous ?

Lorsque nous avons rencontré le nouvel ambassadeur russe pour notre livre, il nous a expliqué que le risque hooligan n’était pas un problème. Ronan Evain, spécialiste du supportérisme en Russie et en Europe, nous l’a confirmé. Le problème aujourd’hui, c’est le terrorisme.
Pour en revenir à mon propos précédent, si un attentat frappe la Russie en pleine Coupe du monde, cela montrera que les pays n’est pas sûr et conforme aux standards des grands événements mondiaux. La stratégie de Vladimir Poutine sera alors perdante. Le tourisme n’augmentera pas et les investissements non plus. L’échec assuré.
Concernant les hooligans et malgré les tensions entre Européens et Russes, il y a toujours eu une forte collaboration entre les différents polices et Interpol. Le système de Fan ID, ce visa permettant aux détenteurs de billets d’entrer et de voyager en Russie, a été notamment mis en place pour contrôler les flux de supporters. Le FSB, le principal service de renseignement russe, a de son côté cartographié les mouvements hooligans en Russie et a pris contact avec certains groupes et leurs leaders. Certainement pour les dissuader de toutes actions pendant le mondial et les prévenir de ce qu’ils risquaient. Il faut donc s’attendre à un risque plus mesuré qu’on ne le dit sur cette question.

Quelles sont les particularités des rapports entre le milieu politique et le football en Russie ?

Le football est historiquement important en Russie, même si le sport le plus populaire dans le pays reste le hockey. Depuis l’URSS, les hommes politiques russes cherchent dans le football, un levier de communication pour se faire entendre, mais ils y trouvent aussi un moyen de montrer leur influence et donc de servir leurs intérêt au niveau local et dans leurs rapport au pouvoir. Par exemple Lavrenti Beria, chef du NKVD, avait sous son autorité le Dynamo de Tbilissi. Du reste à Moscou, les différents clubs représentaient des factions différentes du pouvoir. Le CSKA, club de l’Armée Rouge, le Spartak club du peuple etc. Il y a donc toujours eu un lien étroit entre politique, sport et football en Russie.
Gazprom finance encore massivement le foot russe. Le club du Zénith Saint Pétersbourg en a profité ainsi qu’une partie des stades construits pour cette Coupe du monde 2018.
On décèle également ne stratégie extérieure au pays. Par exemple, les milliardaires Roman Abramovich et Dmitri Rybolovlev, respectivement présidents des clubs de Chelsea et Monaco, ne sont jamais loin du pouvoir comme nous l’ont rappelé dans le livre, Arnaud Ramsay et Alban Traquet, tous deux auteurs de leurs biographies.

La politique d’organisation d’événements sportifs comme vitrine d’une nouvelle Russie, menée depuis le milieu des années 2000, a-t-elle échoué ?

Oui, en Europe et en Amérique du nord, elle a échoué, tant la défiance est grande aujourd’hui vis-à-vis de la Russie. Une Coupe de monde ne peut faire oublier et disparaître le penchant autoritaire du gouvernement russe, l’annexion de la Crimée ou l’intervention en Syrie.
C’est un échec et les Russes le savent. Cette coupe du monde ne changera rien ou presque. Par contre, pour le reste de la planète, ce sera certainement une réussite, notamment en Afrique et en Asie.
La Coupe du monde fait partie d’une stratégie plus globale de rapprochement avec ces régions du monde. La Russie avec toutes une série d’outils se rapproche d’organisations et d’États en Afrique et en Asie. On peut citer l’Organisation de Coopération de Shanghai, l’Union Économique Eurasiatique. Et, en ce qui concerne l’Afrique, Moscou s’est également rapproché de plusieurs Etats au travers de liens commerciaux, énergétiques ou militaires. Enfin, les médias russes comme Sputnik et RT ont une meilleure pénétration et acceptation dans ces régions.

Enfin, l’enjeu sportif est-il important pour les dirigeants russes, alors que l’équipe nationale, « la Sbornaya » n’a jamais semblé aussi faible ?

Le pouvoir russe a anticipé le futur échec de la Sbornaya. C’est l’équipe la plus faible au classement FIFA permis les 32 équipes présentes à la Coupe du monde, il s’agit même désormais d’un objet de plaisanterie à l’intérieur du pays. Les dirigeants russes attendent simplement que l’équipe se comporte « dignement », qu’elle ne se fasse pas ridiculiser. Au-delà de la victoire ou de la défaite, il y a une volonté de voir « des hommes russes », on retrouve ici la politique viriliste menée en Russie depuis une dizaine d’année. C’est l’opinion de Vladimir Poutine et personne ne lui donnera tort.

« Football Investigation. Les dessous du football en Russie » paru chez Bréal en 2018, dirigé par Jean-Baptiste Guégan et co-écrit avec Quentin Migliarini et Ruben Slagter.
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Fabien HERBERT

Fabien Herbert est Président des Yeux Du Monde et rédacteur géopolitique pour l'association depuis mars 2016. Formé à l’Université Catholique de Louvain, Fabien Herbert est journaliste et analyste spécialisé en relations internationales. Il s’intéresse notamment au monde russophone, au Moyen-Orient et à l'Asie du Nord-Est.

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