Les liens entre Arabie saoudite et djihadisme
Aujourd’hui il est omniprésent, dans tous les journaux, sur une partie de vos publications Facebook ou Twitter, il est devenu un objet de peur ou de fantasme pour certains. Il est présent à travers différents termes, le plus occidentalisé étant « terrorisme », le plus exact peut-être étant celui de « djihadisme ». Le djihadisme est une traduction contemporaine de la pratique du djihad, qui se traduit dans le Coran par « la lutte », « la résistance » ou « la guerre sainte ». Depuis le XVIII ème siècle et plus récemment ces 30 dernières années, la dynastie des Al Saoud est pointée du doigt pour sa participation à la diffusion du salafisme au Moyen-Orient. Elle est souvent comparée à l’Iran dans la gestion de ses sujets extrémistes et dans son soutien aux groupes terroristes que sont Al-Qaida et l’EI. Une comparaison non-pertinente, à la vue des différences idéologiques et pratiques des deux puissances du Moyen-Orient.
Tout d’abord, pour comprendre les liens entre les Al Saoud et les mouvements radicaux islamistes, il faut revenir à une origine assez parlante. Au XVIII ème siècle, le Moyen-Orient était dominé par l’Empire Ottoman, mais certaines principautés locales gouvernaient, de manière indépendante, des Oasis dans la péninsule arabique. Mohammed Ibn Saoud dirigeait l’une d’entre elle. L’expansion de son territoire sera permis par une alliance avec l’imam Mohammed ben Abdelwahhab, qui prônait une lecture rigoriste de l’Islam, un retour à la « Salaf », c’est-à-dire à un Islam fondé sur le Coran et la Sunna (la loi coranique). Il dénonce également et souhaite punir « les impies », notamment chiites. Abdelwahhab donnera son nom à la doctrine wahhabite, reprenant les codes de l’école jurisprudentielle Hanbalite (1) et du salafisme. Ibn Saoud utilisera le potentiel fédérateur d’un retour à l’âge d’or musulman et créera le premier État saoudien en 1744. Une utilisation très politique donc, de la doctrine wahhabite. Mais si l’on considère aujourd’hui la dynastie des Al Saoud comme liée par essence au Wahhabisme, l’Histoire à démontrée au contraire certaines divergences.
Les Saoud, Machiavel du Moyen-Orient ?
Alors que la doctrine wahhabite avait permis l’avènement du premier État saoudien, le second fondé en 1932 par Abdelaziz Al Saoud, surnommé « Ibn Saoud », le sera grâce aux britanniques. Sous influence occidentale, Riyad construit un état centralisé, moderne et va limiter l’influence des éléments les plus radicaux, allant jusqu’à massacrer plusieurs milliers d’ultra wahhabites en 1929. Mais ce courant se rapprochera à nouveau du pouvoir saoudien après la seconde Guerre mondiale en réaction au Nassérisme, d’inspiration socialiste.
Si la dualité existante entre les Al Saoud et le Wahhabisme est indéniable, la priorité de Riyad n’est pas la diffusion de cette idéologie, mais bien la conservation du pouvoir.
Cette forme de pragmatisme est visible dans leur alliance avec les États-Unis et à travers des décisions géopolitiques assez étonnante, pour un pouvoir qualifié de religieux et fondamentaliste. L’une d’entre elle étant la relative indifférence de l’Arabie saoudite face au conflit Israélo-Palestinien, laissant l’Iran (chiite) s’opposer à Israël par l’intermédiaire du Hezbollah, pour soutenir les Palestiniens (en majorité sunnites). Un comble qui montre également que la rivalité entre Iran et Arabie saoudite est bien plus géopolitique que religieuse. Après plusieurs décennies de retrait de la politique régionale, la dynastie Al Saoud se retrouve face à deux dangers qui vont la contraindre à agir et modifier le paysage politique du Moyen-Orient. Ces deux dangers sont les courants socialistes et laïcs en Syrie et en Irak, mais aussi la Révolution Iranienne de 1979, appelant les chiites à se révolter contre les sunnites. Les Saoudiens vont alors se lancer dans une course prosélyte. L’Arabie saoudite va ancrer durablement les mouvements salafistes, wahhabites et djihadistes dans la région, grâce à des financements, de l’énergie et du soutien logistique, quitte à s’en éloigner lorsque ces groupes se radicaliseront. C’est la grande différence avec l’Iran qui a toujours su contrôler ses forces extrémistes, notamment le Hezbollah, dont la qualité de groupe terroristes est toujours débattu en Occident. Les Saoudiens vont largement soutenir et financer des groupes djihadistes en Afghanistan contre les Soviétiques, puis en Syrie contre Al-Assad. Mais, une fois l’ennemi commun repoussé, les mouvements djihadistes comme Al-Qaida puis l’EI, vont commettre des actes inacceptables aux yeux de la communauté internationale, des actes terroristes (2). Les saoudiens vont à chaque fois marquer leur distance pour ne pas se retrouver en porte-à-faux vis-à-vis des États-Unis. Cette distance va devenir ignorance et les saoudiens iront même jusqu’à affronter l’EI.
Il est donc possible d’en conclure que c’est la rupture entre l’idéologisation religieuse et le pragmatisme politique de la monarchie saoudienne, qui a en partie (ils ne sont pas seuls responsables) créé ce mouvement massif djihadiste au Moyen-Orient et qui s’est étendu plus récemment en Afrique. Un mouvement qui menace la dynastie Al Saoud aujourd’hui. Au contraire du Hezbollah, le bras armé de l’Iran au Liban, qui est toujours sous le contrôle de Téhéran. La conséquence de ce contrôle étant que le Hezbollah a conservé une vocation politique avant tout et non religieuse, contrairement à Al-Qaïda et l’EI, qui sans encadrement, se sont radicalisés et ont transformé un combat politique, contre l’URSS et le gouvernement syrien par exemple, en guerre sainte. Cette différence rend le combat du Hezbollah plus acceptable aux yeux d’une partie du monde et explique le fait qu’il ne soit pas classé comme association terroriste par l’ONU. Concernant l’Arabie saoudite, bien malin est celui qui peut deviner l’avenir du régime, mais aujourd’hui ce sont bien les groupes djihadistes qui représentent le plus grand danger pour la monarchie. Des djihadistes qui avaient pourtant été mis sur orbite par Riyad et qui pourraient bien se retourner contre leurs anciens maîtres, qu’ils accusent de ne pas respecter les préceptes de l’Islam.
(1) Le Hanbalisme est une des quatre grandes écoles jurisprudentielles sunnites. Le Hanbalisme est le courant le plus rigoriste, principalement présent dans la péninsule arabique, ce qui a favorisé l’émergence du wahhabisme.
(2) Il ne faut pas perdre de vue, que le terrorisme est un moyen d’action et le djihadisme un fond idéologique. Les deux vont de pair dans le cas de l’EI.