Jérusalem ou l’échec de l’UNESCO ?
Après les mots sont venus les actes. Israël a rappelé le 26 octobre dernier son ambassadeur à l’UNESCO une semaine après l’adoption par l’institution d’une résolution déplorant les “fouilles illégales” israéliennes au sein de la “vieille Ville”. Si cet énième affrontement entre l’agence des Nations Unis et l’Etat Hébreu n’avait rien de nouveau, la surprise est venue de l’Autorité Israélienne des Antiquités présentant un papyrus censé porter la plus ancienne mention non religieuse de Jérusalem en hébreu. Ce hasard du calendrier (ou volonté délibérée) éclaire ainsi la prévalence des agendas nationalistes sur la volonté unesconienne d’appliquer un régime de “patrimoine universel”.
Guerre médiatique sur fond d’«expulsion lexicale»
Plus que la dénonciation de “fouilles illégales” israéliennes, la résolution du 18 octobre opère en effet un choix lexical non anodin concernant les sites religieux présents à Jérusalem. En effet, le Mont du Temple et le Mur des Lamentations ne sont évoqués que par leur nom arabe (Al Haram al-Sharif et Al-Buraq), un choix que certains assimilent à un déni du lien historique entre le peuple juif et la ville sainte. L’examen favorable du texte en séance plénière fait écho au vote de cette même résolution en commission le 13 octobre dernier. Or, malgré l’opposition de poids lourds tels les Etats-Unis et la Grande Bretagne, la résolution a été adoptée par le conseil exécutif, la Chine, la Russie ou encore l’Egypte ayant notamment apporté leur soutien. La directrice de l’UNESCO, Irina Bokova, tout comme le président du Conseil exécutif Michel Worbs ont de leur côté pris leur distance avec le texte, ce dernier se disant “désolé pour cela”.
On notera l’abstention française qui n’est pas une surprise après l’imbroglio dans les relations diplomatiques franco-israéliennes qui a suivi le vote français en mai dernier pour une résolution similaire. Au-delà de ce choix lexical non sans conséquences, il convient d’examiner en détails le texte. S’il qualifie Israël de “puissance occupante” et demande la “restauration du statu quo en vigueur jusqu’en 2000”, il affirme par ailleurs avec force, dès l’article 3, “l’importance de la Vieille ville de Jérusalem et de ses Murs pour les trois religions monothéistes”. Il serait ainsi réducteur de qualifier le texte de “déni historique”. L’enchaînement des événements est d’autant plus intéressant que, le 26 octobre, l’Autorité Israélienne des Antiquité (AIA) a également présenté à la presse un papyrus portant “la première mention en hébreu de la ville de Jérusalem en dehors de l’ancien Testament” selon l’AIA, papyrus dont l’authenticité est discutée parmi les experts tant la datation au carbone 14 semble insuffisante.
Jérusalem, cristallisation d’un affrontement historique entre Israël et l’UNESCO
Cet ultime développement n’est pourtant que l’aboutissement d’une détérioration continue dans les relations entre Israël et l’UNESCO sur la question de Jérusalem. En dépit du placement de la ville sainte sous “régime international” dès 1947 par l’ONU puis de l’adoption de la Convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé en 1954 posant un cadre légal dont Israël s’est fait partie, la guerre des Six-Jours et la subséquente occupation puis annexion israélienne de Jérusalem-Est met le feu aux poudre entre les deux acteurs. Dès 1968, Israël est condamnée par l’agence onusienne pour des “fouilles illégales” détruisant un héritage culturel commun, puis sommée de se conformer aux obligations de coopération et de coordination mises en place légalement par la Convention du Patrimoine Mondial (1972). Plus récemment, l’acceptation par l’institution de la Palestine comme Etat Membre en 2011 a semblé sonner le glas de tout espoir de coopération, Israël cessant le versement de tout soutien financier, suivie en cela par les Etats-Unis.
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Le principal point d’achoppement entre les deux acteurs réside dans la politisation des fouilles archéologiques israéliennes post-1967. Le recours aux fouilles apparaît en effet comme un prétexte pour recréer le paysage historique de Jérusalem et opérer une appropriation culturelle d’un patrimoine commun aux trois monothéismes. Cette appropriation n’est pas pour autant seulement symbolique, elle est partie intégrante d’une stratégie d’extension de la souveraineté territoriale israélienne commençant dès 1967 par la destruction du quartier marocain de la Vieille ville après la Guerre des Six-Jours. Cette responsabilité israélienne ne doit pas pour autant faire oublier les exactions jordaniennes avant l’annexion israélienne résultant dans la destruction du Quartier juif en 1948.
Jérusalem ou l’impossibilité d’un “héritage universel” ?
Au-delà de ce désaccord historique, comment expliquer l’échec constant de l’UNESCO pour s’affirmer comme un arbitre dans un paysage archéologiquement politisé aussi bien par Israël que par les pays arabes pour satisfaire des agendas strictement nationalistes ? Deux éléments de réponse peuvent être apportés. D’une part, cet échec procède d’une tension constante entre des agendas nationalisés et la notion unesconienne d’”héritage universel”. L’idée d’ “héritage universel” ou de “patrimoine mondial” implique, en effet, des récits communs ainsi qu’une approche conciliatoire. Or comment cette notion de partage pourrait-elle prévaloir pour une ville dont les sites religieux cristallisent des luttes politiques contestant les narratifs historiques, l’autorité légale ou encore la souveraineté territoriale de chaque acteur ?
Au-delà de cette tension, l’échec de l’UNESCO à s’imposer comme un acteur et un intermédiaire privilégié réside dans la faiblesse de ses pouvoirs d’exécution légaux face à un Etat israélien refusant de se conformer au droit international et à des coalitions pro-palestiniennes rejetant voire manipulant l’institution. S’il semble avéré que la recherche d’un accord général entre les deux parties sur une stratégie compréhensive dans la gestion de l’héritage culturel de Jérusalem n’est pas à prévoir, il serait plus que pertinent de doter l’UNESCO de réels pouvoirs de sanctions et non simplement d’un cadre juridique international la soumettant aux volonté des uns et des autres. Pour réécrire un adage connu, nulla lege sine poena (Il n’y a pas de loi sans sanction).
Sources:
http://www.juancole.com/2016/10/jerusalem-netanyahu-smeared.html
http://www.timesofisrael.com/israel-suspends-cooperation-with-unesco-over-jerusalem-vote/
http://www.timesofisrael.com/unesco-chief-keep-fighting-delegitimization-israel/
http://www.jpost.com/Enviro-Tech/Beit-Guvrin-Natl-Park-declared-UNESCO-World-Heritage-Site-360253
Pour aller plus loin:
-Texte de la résolution: http://unesdoc.unesco.org/images/0024/002462/246215e.pdf
-Dumper Michael, Larkin Craig, “The politics of heritage and the limitations of international agency in contested cities: a study of the role of UNESCO in Jerusalem’s Old City”, Review of International Studies. January 2012.
-Goy Raymond, “La question de Jérusalem à l’UNESCO”, Annuaire français du droit international. 1976 Volume 22 Numéro 1 pp. 420-433http://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1976_num_22_1_1997
-Keane, David, and Valentina Azarov. « UNESCO, Palestine and archaeology in conflict. » Denver Journal of International Law and Policy, Spring 2013, p. 309+. LegalTrac
-Scaini Maurizio, “The Jérusalem issue in international politics”, Geographica Slovenica.2001http://giam.zrc-sazu.si/sites/default/files/gs_clanki/GS_3401_207-215.pdf