L’après-Mossoul, bilans et perspectives
Le 4 juin 2014, les djihadistes du futur État islamique (EI) lançaient une offensive éclair sur la ville de Mossoul. Dans un pays affaibli par les nombreuses guerres et conflits civils des quinze dernières années, ils n’eurent besoin que de quelques centaines de combattants bien organisés. La prise fut rapide ; Mossoul tomba le 10 juin. Le 28 juin, dans la mosquée al-Nouri – détruite le 21 juin 2017 par l’EI – est proclamé le Califat. Dans une vidéo Abou Bakr al-Baghdadi se présente comme le “commandeur des croyants”, lui qui s’est formé dans les prisons américaines en Irak, véritables “incubateurs” djihadistes.
Mossoul, deuxième plus grande ville du pays avec 2 721 096 habitants, était une prise majeure pour l’implantation de l’EI en Irak. La ville est devenue le centre symbolique de Daech. De ce fait un atout stratégique dans la guerre menée par le pouvoir irakien. Ainsi, le 17 octobre 2016 débute l’offensive sur Mossoul. Malgré un soutien de taille venu des airs avec la coalition, c’est véritablement les forces spéciales irakiennes – aidées par des milices paramilitaires souvent religieuses ainsi que par les forces kurdes venues du Nord – qui ont libéré la ville. La concentration des habitations, les rues tortueuses – en particulier dans la vieille ville – ont nécessité de longs et violents combats humains.
La défaite de l’EI était néanmoins attendue. Avec l’échec de l’entrée dans Bagdad, puis la remontée des troupes gouvernementales – comme on a pu le voir lors de la bataille de Falloujah – la possibilité d’endiguement de l’EI était imaginable.
Une stratégie du chaos dans la défaite
Ainsi, face à l’inéluctable déroute qui s’annonçait à Mossoul, les djihadistes ont intensifié leur stratégie nihiliste ; le dynamitage de la mosquée al-Nouri au « minaret incliné », symbole irakien de l’islam sunnite, en est une image frappante. On pourra aussi noter la destruction de tous les symboles chrétiens de la ville dont le monastère Saint-Elie, du VIème siècle, plus vielle église chrétienne d’Irak. Enfin, cette volonté de destruction est visible partout dans la ville, et dans les ruines qu’il en reste. Le pays, même en « paix », souffrira de graves difficultés économiques. De ce fait, la reconstruction de l’Irak – aussi bien matérielle que nationale, communautaire et culturelle – sera encore plus difficile.
Une intensification de la violence, en Irak et en Syrie, puis à l’international
Plus l’EI s’enfonce dans la défaite, plus le radicalisme des derniers combattants se renforce. Une intensification des attentats suicides a lieu en Irak et en Syrie. Cette stratégie de déstabilisation héritée de Abou Moussab al-Zarqaoui, frappe les lieux de cultes chiites et attise les braises des tensions religieuses et ethniques. La détermination des combattants restant sera aussi probablement supérieure à celle des soldats de l’armée régulière – mal préparés et épuisés à cause d’une série de guerres et de conflits qui ne semble pas vouloir prendre fin.
A l’international, les défaites successives et le recul territorial risquent d’encourager l’intensification des attentats, d’attaques individuelles, décentralisées et déstabilisatrices pour les sociétés occidentales, du fait de leur fréquence élevée. Sur ce point, la prise de conscience par les pouvoirs publics et la transmission de l’information vers la population sont nécessaires pour comprendre que vaincre l’EI sur son territoire ne signifiera pas – à court terme – un arrêt absolu des attaques terroristes. On verra plutôt émerger des groupes moins organisés, avec de moindres moyens financiers et un entraînement parfois inexistant. Ce sera une première victoire – militaire – ; la seconde, ce n’est pas le sujet de notre article mais il semble important de le rappeler, sera sociale et populaire, ce sera la victoire qui détruira la propagande djihadiste et la galaxie idéologique radicale qui l’englobe.
Quel avenir pour Mossoul et l’Irak ?
L’Irak reste en partie contrôlée par l’EI, à l’ouest de l’Irak, avec une ligne de jonction longue de 300 kilomètres avec la Syrie. Cela laisse à l’EI une marge de manœuvre stratégique très large. Dans leur défaite, les djihadistes ont pourtant atteint un de leurs objectifs : déstabiliser l’Irak et la Syrie et encourager les tensions religieuses et tribales, comme le fît al-Zarqaoui, le « jordanien ». Si l’erreur entraîne les mêmes conséquences qu’alors, on ne peut que craindre les prochaines années et porter un regard très pessimiste sur un redressement rapide de la situation irakienne.
Le pouvoir chiite, opposé à la décentralisation, pourrait aussi être un facteur de déstabilisation. D’une part les exactions de certaines milices para-étatiques chiites attisent la haine sunnite et donc leur possible ralliement aux djihadistes – eux-mêmes sunnites. D’autre part il ne faudra pas oublier l’importance des combattants kurdes au risque cette fois-ci de se mettre à dos l’une des communautés les plus puissantes d’Irak. La question kurde est d’autant plus complexe que ces derniers ont convoqué un référendum d’indépendance le 25 septembre 2017. Si l’Irak ne veut pas être tronquée du nord de son territoire, provoquer une nouvelle guerre civile à Mossoul et perdre sa frontière avec la Turquie, il faudra considérablement décentraliser le pays. Comme tout a des répercussions en diplomatie, si les autorités donnent de l’indépendance aux Kurdes, elles devront alors contenter les chiites qui ont combattu pour l’État, mais aussi les sunnites pour ne pas qu’ils puissent se rallier à des mouvements radicaux qui essaieront invariablement de les attirer, sans oublier les minorités chrétiennes.
Enfin, le gouvernement irakien est considérablement affaibli par les nombreuses guerres et l’ingérence américaine. Il n’a plus de crédibilité interne ni de poids à l’international. On ne peut qu’espérer une rapide stabilisation de la situation pour qu’il puisse enfin se relever et envisager l’avenir de l’Irak autrement que dans une perpétuelle reconstruction.