Irak : le jour d’après
Alors que les territoires irakiens et syriens de l’Etat islamique s’amenuisent chaque jour un peu plus, les défis s’annoncent encore nombreux et complexes. L’année 2017 aura ainsi consacré la débâcle de l’Etat islamique, sans pour autant garantir l’avenir d’une région très instable. La perte de Mossoul, en juillet dernier, puis de Raqqa – dont la libération officielle a été annoncée par les Forces démocratiques syriennes le 18 octobre – ont porté le coup de grâce aux velléités du califat, aujourd’hui en passe de revenir à une stratégie de guérilla. Cependant, la disparition d’un ennemi commun et territorialement matérialisé, véritable ciment d’une coalition improbable en Irak, fait réapparaître le spectre de divisions tenaces entre les différents protagonistes. Les récents affrontements , entre kurdes irakiens et forces gouvernementales, comme la persistance de fractures confessionnelles instrumentalisées, hypothèquent l’avenir de la République d’Irak.
En Irak, l’impossible question kurde…
Unis un temps face à la menace du califat, le pouvoir central à Bagdad et le Kurdistan sont désormais en crise ouverte, ce depuis la tenue, le 25 septembre dernier, d’un référendum d’indépendance où le « oui » a remporté près de 93% des suffrages. Avec la défaite de l’Etat islamique à Hawija, forces gouvernementales et forces kurdes se sont retrouvées face à face dans la riche province pétrolière de Kirkouk, contrôlée par les kurdes depuis 2014. Les forces gouvernementales n’ont pas tardé à reprendre cette zone stratégique aux peshmergas, et les combats se poursuivent plus au nord, dans la région de Zoummar[1]. Alors que le Kurdistan a annoncé qu’il était prêt à geler les résultats du référendum ce mercredi, Bagdad a opposé une fin de non-recevoir, demandant l’annulation pure et simple du scrutin. Pour compliquer encore un peu plus la situation, les kurdes eux-mêmes semblent divisés[2]. Tandis que le Parti démocratique du Kurdistan (PDK), au pouvoir, accuse l’Union patriotique du Kurdistan (UPK) d’avoir passé un accord pour livrer Kirkouk à Bagdad, cette dernière critique ouvertement l’organisation d’un référendum incertain et dangereux pour l‘avenir du pays.
… Et la nécessaire reconstruction d’un système politique grippé
En 2003, le principe de concordance nationale devait permettre la mise en place de gouvernements de coalition, associant les minorités sunnites et kurdes à la majorité chiite. Dans les faits, l’hégémonie chiite est très vite devenue la norme, particulièrement sous le gouvernement Maliki entre 2006 et 2014. Les tensions confessionnelles, ainsi exacerbées, et la radicalisation d’une frange importante de la population sunnite ont notamment participé de la montée en puissance de Daech. Aujourd’hui, ce « maximalisme chiite »[3] inquiète particulièrement, alors que bon nombre de sunnites sont accusés, à tort, d’avoir soutenu l’Etat islamique. La fracture est profonde dans un système politique faible et miné par une logique milicienne, où la violence est diffuse. Ainsi, l’enjeu doit être tant la reconstruction d’un Etat inclusif et véritablement représentatif que le désarmement et le contrôle des très nombreuses milices, chiites comme sunnites, qui parcourent le pays. Les influences extérieures contribuent également au morcellement d’une société prise dans le jeu d’opposition indirecte entre l’Iran et les Etats Unis[4].
Un bilan humain et matériel catastrophique
La situation du pays demeure très préoccupante : alors même que l’économie irakienne est en berne, sous l’effet conjoint des faibles cours du brut, des nombreuses destructions et d’une corruption endémique, de nombreuses infrastructures sont à reconstruire. L’Organisation des Nations Unies, en partenariat avec le gouvernement irakien, a ainsi estimé les frais de reconstruction à plus de 100 milliards de dollars[5] dont près d’un milliard pour la seule ville de Mossoul. Enfin, la population a subi de plein fouet les différents combats : on estime aujourd’hui à plus de 3 millions le nombre de déplacés irakiens au sein du pays[6] quand les services publics ne peuvent fonctionner qu’a minima. Enfin, depuis 2003, plus de 180 000 civils ont trouvé la mort[7] dans les vagues de violence successives qu’a connu le pays.
Loin de marquer la fin d’une période de trouble importante, la victoire sur l’Etat islamique soulève de nouveaux défis pour un Etat en déliquescence depuis 2003. Comme le souligne Loulouwa AL RACHID, entre « crispations ethniques et religieuses, morcellement territorial et confrontation d’intérêts internationaux : l’Irak de demain reste une équation à plusieurs inconnues ».
[1] Violents combats dans le nord de l’Irak entre forces gouvernementales et kurdes, Libération, 26 Octobre 2017
[2] Kurdistan irakien : les partis politiques kurdes plus divisés que jamais, RFI, 20 Octobre 2017
[3] Loulouwa AL RACHID, L’Irak après l’Etat islamique, une victoire qui change tout ?, Note de l’IFRI, Juillet 2017
[4] Ibid, op cit
[5] Zachary Laub, What to Watch For in Post-ISIS Iraq and Syria, Council on Foreign Relations, October 19, 2017
[6] Ibid, op cit
[7] Gael LOMBART, Victor ALEXANDRE, Irak : autant de civils tués depuis 2003 que d’habitants à Reims, Le Parisien, 6 Juillet 2016