Asie du Sud-EstAsie et Océanie

Birmanie : une victoire et beaucoup d’attentes autour d’Aung San Suu Kyi

Shares

Deux semaines après son accession à la tête de la présidence de la République, Htin Kyaw, fidèle ami et allié d’Aung San Suu Kyi, a prêté serment devant le Parlement mercredi dernier, à Naypyidaw. Ce nouveau pouvoir politique marque la fin d’une longue transition démocratique et constitue l’aboutissement du combat menée par la Dame de Rangoun depuis près de trente ans.

Bien que le nouveau président birman soit Htin Kyaw (à droite), les élections ont consacré la victoire de celle qui est surnommée « l’Orchidée de fer » par ses partisans : Aung San Suu Kyi (à gauche), prix Nobel de la Paix en 1991.
Bien que le nouveau président birman soit Htin Kyaw (à droite), les élections ont consacré la victoire de celle qui est surnommée « l’Orchidée de fer » par ses partisans : Aung San Suu Kyi (à gauche), prix Nobel de la Paix en 1991.

Un long combat politique

Devenue indépendante en 1948 après près deux siècles de colonisation britannique, la Birmanie est sujette à une forte instabilité politique, qui se caractérise par la mise en place de juntes militaires au sommet du pouvoir à partir de 1962. Aung San Suu Kyi, fille d’une figure de l’indépendance birmane, fonde en 1988 son parti, la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND), qui remporte massivement les premières élections libres en 1990. Cependant, les résultats sont invalidés et, entre 1989 et 2010, Aung San Suu Kyi passe la majeure partie de sa vie en résidence surveillée ou emprisonnée. C’est en 2011 qu’une transition politique est amorcée avec l’accession au pouvoir du socialiste Thein Sein, avec un gouvernement composé malgré tout d’une forte majorité d’anciens généraux.

Finalement, les élections législatives de novembre 2015 ont consacré une victoire large de la LND au sein des deux chambres du Parlement birman. La Constitution du pays, que Aung San Suu Kyi a tenté de faire modifier en vain, interdit à un Birman de se présenter aux élections présidentielles s’il est marié avec un étranger ou s’il a des enfants de nationalité étrangère. Or, la Dame de Rangoun est dans ce cas puisque son mari, décédé en 1999, comme ses enfants ont la nationalité britannique. Aung San Suu Kyi n’est cependant pas en reste puisqu’elle devient le chef du nouveau gouvernement au sein duquel elle s’est octroyé quatre ministères : Affaires étrangères, éducation, électricité, et énergie. La Défense et l’Intérieur notamment ont été attribués à des militaires, preuve qu’il faudra continuer à faire avec l’armée au sommet de l’Etat pour mener les réformes.

Les chantiers du nouveau pouvoir politique

Les réformes prévues cristallisent justement les espoirs de la population. La LND a axé ses priorités sur l’éducation et la santé, des domaines dans lesquels la Birmanie est très en retard. Il faut dire que le système de santé est aussi entièrement à reconstruire dans un pays au fort taux de mortalité. Les hôpitaux sont rares, vétustes et vides, tandis que les médicaments proposés sont souvent des contrefaçons très dangereuses pour la santé. Les birmans les plus aisés préfèrent d’ailleurs aller se faire soigner à Bangkok ou à Singapour. En outre, la Birmanie cumule les mauvais chiffres économiques et sociaux : 70% des foyers n’ont pas accès à l’électricité, 30% de la population vit sous le seuil de pauvreté et 176ème rang sur 178 au classement de la perception de la corruption selon l’agence Transparancy International. Pas étonnant dès lors qu’Aung San Suu Kyi ait encouragé et soutenu un économiste, Htin Kyaw, pour devenir président.

Pourtant, la Birmanie dispose pourtant d’atouts non négligeables. Elle dispose de matières premières abondantes (mines, bois, gaz, pétrole), et d’une intégration régionale forte du fait de son appartenance à l’ASEAN, depuis 1997. L’économie reste à forte domination agricole, le secteur industriel demeurant très peu développé (23% du PIB). Le développement pour le nouveau gouvernement passe sans doute par la mise en œuvre des recommandations de la Commission des Investissements. Parmi elles, la création de zones portuaires offrant un cadre fiscal attractif pour les investisseurs (port industriel de Dawei, port de Thilawa) permettraient de valoriser l’ouverture maritime du pays, plutôt sous-exploitée jusqu’alors.

En outre, d’autres chantiers plus politiques attendent Suu Kyi et son gouvernement. En ce qui concerne la libération des prisonniers politiques, il ne semble pas y avoir de soucis, étant donné que le mouvement a déjà été amorcé sous le pouvoir précédent. Pour ce qui est des conflits ethniques, la Dame de Rangoun est particulièrement attendue. Il existe plus d’une centaine de minorités en Birmanie en conflit avec les pouvoirs en place ou entre elles.

Dans de nombreuses régions frontalières, des groupes rebelles réclament plus d’autonomie et s’opposent aux forces gouvernementales. Surtout, dans l’ouest du pays, des milliers de musulmans Rohingyas vivent encore dans des camps. C’est le principal angle d’attaque des opposants à Aung San Suu Kyi car cette dernière ne s’est jamais prononcée au sujet des violences commises contre cette minorité et n’a présenté aucun candidat musulman aux législatives de novembre dernier.

Malgré, l’ampleur du travail à accomplir et les nombreux conflits ethniques, le nouveau pouvoir birman suscite d’ores et déjà beaucoup d’espoirs au sein de la population et de la communauté internationale.

Shares

Marc GERARD

Ancien élève de CPGE B/L au Lycée Montaigne, Marc Gérard est diplômé d'un master en Histoire des mondes modernes et contemporains, certifié et enseignant en Histoire-Géographie. Il est rédacteur pour Les Yeux du Monde depuis janvier 2016.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *