Environnement et autonomie énergétique : l’impossible équation européenne ?
L’Union Énergétique a toujours été une des priorités de l’Europe depuis la création de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier en 1951. Cependant, son application concrète s’est souvent heurtée à la souveraineté des Etats. C’est en ce sens qu’un premier plan a vu le jour en 2016 sous l’égide de la Commission Européenne. Sécurité et efficacité énergétique, protection des consommateurs et de l’environnement et création d’un marché intérieur commun en sont les principaux axes. Si l’interconnexion et l’optimisation des réseaux électriques est en bonne voie, les volets « environnement » et « sécurité énergétique » sont sujets à débats.
Qu’en est-il réellement ?
Des objectifs en apparence conciliables
Protection de l’environnement et indépendance énergétique sont des objectifs atteignables via l’emploi des énergies renouvelables. Hydraulique, éolien, photovoltaïque et biomasse offrent, en théorie, une solution idéale à l’équation européenne. Ces énergies sont illimitées, propres, et ne nécessitent pas d’importer des matières premières lors de leur fonctionnement. L’Europe scandinave possède une avance notable dans ce domaine. Danemark et Suède produisent plus de 40% de leur électricité respectivement avec l’éolien et l’hydraulique. Mais, malgré les fortes incitations de l’UE (subventions, quota carbone), le déploiement massif des énergies renouvelables se heurte à la réticence de certains états, qui privilégient leur autonomie énergétique. Comment l’expliquer ?
Des visions différentes de la notion “d’indépendance énergétique”
L’autonomie énergétique complète est, en Europe, difficilement atteignable. Il faudrait pour cela que toutes les étapes de la génération d’énergie soient contrôlées par des acteurs européens, de la construction d’unités à l’extraction des matières premières. Les énergies renouvelables (éolien et solaire en tête) ne le permettent pas, de par les matériaux et les technologies qui les composent. Les faibles ressources en matières premières du Vieux Continent l’oblige donc à s’approvisionner ailleurs. Dès lors, la « dépendance énergétique » d’un pays est surtout liée à la relation entretenue avec le pays fournisseur. C’est pourquoi les pays d’Europe de l’Est tentent de limiter au maximum leur dépendance vis à vis de la Russie, perçue comme une menace. A contrario, la France bénéficie des liens forts l’unissant avec les pays africains producteurs d’uranium comme le Niger, ou elle contrôle les principaux gisements. Notre dépendance énergétique est donc relativement limitée : il s’agit même d’une quasi-autonomie. Les choix énergétiques et les politiques de chaque pays dessinent donc plusieurs Europes.
L’Europe de l’Est
L’autonomie énergétique face à la Russie est une obsession des pays de la région. La Russie utilise en effet son gaz comme une véritable “arme géopolitique”, qu’elle n’hésite pas à employer. Les livraisons de gaz à destination de l’Europe avaient ainsi été totalement coupées pendant plusieurs jours en 2006 et 2009. La Pologne, dépendante actuellement à 89% du gaz russe, souhaite ramener ce taux à moins de 50% à l’expiration du contrat en 2022. L’importation de GNL des Etats-Unis se développe, malgré un coût nettement supérieur. Le choix polonais de conserver ses centrales au charbon a donc, dans ce contexte, du sens. Cette source d’énergie, bon marché et locale, représente encore aujourd’hui plus de 75% de sa production d’électricité. La République Tchèque suit un modèle semblable. Celle-ci produit aussi plus de 60% de son électricité à partir du charbon, dont la quasi-totalité provient du pays. Slovaquie et Hongrie ont conservé leurs centrales nucléaires de l’époque soviétique. Celle-ci assure aujourd’hui près de la moitié de la production électrique des deux pays, limitant le recours au gaz ou au charbon. Cependant, cette volonté d’indépendance vis à vis de la Russie n’est pas partagée par tous. Les trois plus grands producteurs européens, France, Allemagne et Italie, ont des positions différentes.
La France, pilier du nucléaire européen
La France est un cas unique en Europe, avec plus de 75% de son électricité issue du nucléaire. Des entreprises françaises sont présentes à tous les niveaux de la chaîne, dans l’extraction (Orano), la conception (Framatome) et l’exploitation (EDF), assurant une réelle indépendance énergétique. Cette politique a longtemps freiné le développement des énergies renouvelables en France, face à une énergie nucléaire considérée comme « propre » et peu coûteuse. C’est d’ailleurs la pression française, conjuguée à 8 autres états membres, qui a permis au nucléaire d’être qualifié par la Commission “d’énergie de transition”, aux côtés du gaz. En clair, ces énergies ne seront pas exclues immédiatement des investissements “verts” européens.
L’Allemagne, une transition inachevée
D’un côté, l’Allemagne est au cœur d’une transition énergétique majeure, suite à sa sortie du nucléaire programmée en 2022. Les énergies renouvelables ont connu une croissance remarquable, et représentent plus du tiers de sa consommation en 2019. De l’autre, le charbon garde une place majeure dans la production d’énergie, autour de 40%. Cette énergie « sale » permet au pays de compter parmi les premiers exportateurs d’électricité d’Europe. En effet, ses centrales au charbon pallient souvent l’intermittence des énergies renouvelables de ses voisins comme le Danemark. Le faible coût du charbon les rend aussi souvent plus compétitives que les centrales au gaz. La hausse du prix de la tonne de CO2 (multiplié par 3 entre 2018 et 2020), conjuguée à une dynamique politique en faveur du gaz, moins polluant, pourrait inverser la tendance. L’Allemagne prévoit d’ailleurs d’augmenter la part du gaz naturel dans la génération d’électricité pour compenser le déclin du charbon. La construction du gazoduc Nordstream 2, reliant le pays à la Russie, s’inscrit dans ce projet. Celui-ci devrait entrer un service courant 2020, malgré des retards liés aux sanctions américaines visant le projet.
L’Italie reste fidèle au gaz
Suite à l’abandon du nucléaire en 1987, l’Italie a fait le choix de cette source d’énergie, qui représente plus de la moitié de sa génération d’électricité. Elle supporte donc le projet de gazoduc East Med, qui prévoit de relier un gisement au large d’Israël et de Chypre à la Bulgarie et à l’Italie, en passant par la Grèce. Soutenu partiellement par l’UE, ce projet permettrait de diversifier davantage l’approvisionnement en gaz du continent. Mais celui-ci est critiqué pour son coût (de 7 à 9 milliards d’euros), son impact environnemental et son utilité. La consommation de gaz dans l’UE est en effet en baisse quasi constante depuis 2010.
Quelle politique commune ?
La volonté d’indépendance énergétique des états s’oppose donc souvent à la réduction des émissions prônée par la Commission Européenne. Néanmoins, celle-ci est loin d’être impuissante. Taxes carbones, subventions, et priorité des énergies renouvelables sur le réseau pousseront les Etats à infléchir leurs politiques énergétiques.
Le déclin du charbon s’accélère, sous la pression combinée de l’UE et des ONG, y compris dans des pays “réticents” comme la Pologne. Les énergies renouvelables poursuivent leur croissance, portées par leur coût de plus en plus compétitif sur les marchés européens de l’électricité. Elles bénéficient de plus de l’interconnexion accrue des réseaux, qui permet de transférer facilement les surplus d’un pays à l’autre. La Banque Européenne d’Investissement a également annoncé son retrait du financement des énergies fossiles en 2022 (incluant le gaz). Cependant les projets gaziers pourront bénéficier de financements européens jusqu’à cette date. Ce qui pérennise l’emploi de cette énergie pour plusieurs décennies, et éloigne l’objectif de neutralité carbone prévue pour 2050. Nucléaire et gaz pourraient néanmoins jouer un rôle de transition : la Commission Européenne se prononcera définitivement sur le sujet en 2021.
De l’issue de ce débat dépendra une partie de l’avenir énergétique de l’Europe.
L’Union fera t-elle le choix d’une véritable transition énergétique, au détriment d’une partie de sa sécurité ? Ou privilégiera-t-elle une autonomie énergétique accrue, reposant probablement sur le gaz et le nucléaire ?