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Qui sont les supplétifs syriens de la Turquie ? (2/2)

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Entre août 2016 et octobre 2019, la Turquie a mené trois opérations militaires d’envergure en Syrie. L’objectif principal était de repousser le plus loin possible de sa frontière les Forces démocratiques syriennes. Cette coalition arabo-kurde alliée des Occidentaux a aidé à vaincre Daech en Syrie. Elle est menée par les Unités de protection du peuple (YPG), ennemi désigné d’Ankara sur le théâtre syrien. En effet, la Turquie leur reproche leur affiliation au PKK, organisation politique kurde qu’Ankara considère terroriste.

Au cours de ses incursions en Syrie, l’armée turque a ainsi pu compter sur le soutien de groupes rebelles syriens. Ces derniers ont assuré pour elle le rôle de supplétifs. Ces groupes pro-turc étaient rassemblés au sein de deux coalitions, le Front national de libération et l’Armée nationale syrienne. Elles ont annoncé leur fusion en octobre dernier. Bien qu’il soit impossible de traiter de ces groupes de façon exhaustive étant donné leur diversité, nous pouvons en distinguer deux types : ceux issus de l’ASL et ceux proches du djihadisme. 

Partie II : Les groupes proches du djihadisme

Le groupe Jaych al-Islam combat aujourd'hui aux côtés de l'armée de la Turquie en Syrie.
Des combattants de Jaych al-Islam dans la Ghouta orientale, en 2017.

En plus des combattants issus de l’Armée syrienne libre, la Turquie a également coopté, depuis 2016, plusieurs groupes de combattants proches du djihadisme. Cela a d’ailleurs suscité des remous au sein même de la sphère islamiste. Nous tenterons ici de dresser un tableau des plus importants de ces groupes.

Ahrar al-Cham

Dès les premières années du conflit syrien et jusqu’en 2017, le groupe Harakat Ahrar al-Cham constitue l’un des principaux groupes salafistes en Syrie. Il compte entre 10 000 et 20 000 hommes fin 2013. Ahrar al-Cham est créé en janvier 2012 par des militants djihadistes libérés de la prison de Seydnaya par le régime. Le groupe a longtemps entretenu des liens étroits avec Al-Nosra, la franchise syrienne d’Al-Qaida. Les deux organisations envisagent même un temps une fusion. Entre mars 2015 et janvier 2017, la collaboration entre Arhar al-Cham et Al-Nosra permit notamment à la rébellion de s’emparer de la ville d’Idlib. Jusqu’à la fin de l’année 2016, Ahrar al-Cham est constamment tiraillé entre une faction dure de ses dirigeants, favorables à une alliance avec Al-Nosra, et une faction plus modérée, favorable à une entente avec la Turquie et les pays du Golfe.

En septembre 2016, Ahrar al-Cham apporte son soutien à l’intervention turque au Nord de la Syrie, ce qui provoque des tensions avec Al-Nosra, opposé à toute influence étatique. Finalement, en janvier 2017, une guerre ouverte éclate entre les frères ennemis salafistes. Le conflit tourne en juillet à l’avantage d’Al-Nosra (alors rebaptisée Hayat Tahrir al-Cham, après une fusion avec d’autres groupes rebelles). Affaibli par cette défaite, Ahrar al-Cham fusionne, en février 2018, avec la Harakat Nour al-Din al-Zenki, autre groupe islamiste radical. La Harakat Ahrar al-Cham et Zenki rejoignent officiellement la coalition pro-Turquie au sein du FNL le 1er août 2018.

Ahrar al-Charkiya

Ahrar al-Charkiya est une organisation à la trajectoire complexe. Début 2016, Abou Marya Qahtani, ancien cadre de Daech, fonde officiellement ce groupe. Il est aujourd’hui dirigé par Abou Hatem Chakra, ancien membre d’Ahrar al-Cham. Les combattants qui le composent sont pour beaucoup issus des rangs de Daech ou d’Al-Nosra. En octobre dernier, il participe à l’Opération Source de Paix, aux côtés de l’armée turque. Le groupe commet alors de nombreuses exactions, rapportées par les ONG.

Ahrar al-Charkiya s’est notamment fait remarquer par des chants djihadistes, la destruction de magasins d’alcool et des pillages. Ces débordements, que le Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme de l’ONU qualifie de « crimes de guerre« , visent notamment les populations kurdes. Ils posent ainsi la question de la responsabilité de la Turquie dans ces exactions, puisque les groupes agissent sous son contrôle. D’autant que certaines analyses prêtent au Président Erdogan une volonté de nettoyage ethnique à l’encontre des kurdes au Nord de la Syrie. Cela servirait son objectif d’empêcher une continuité territoriale entre les populations kurdes de Syrie et de Turquie.

Jaych al-Islam

Parmi les autres groupes islamistes radicaux cooptés par la Turquie, l’on peut également citer Suqour al-Cham ou Jaych al-Islam. Ce dernier fut longtemps l’entité rebelle la plus puissante dans la région de Damas, avant d’en être expulsé en 2018. Le groupe était dirigé par la famille Allouche, proche de l’Arabie saoudite. Son chef charismatique, Zahran Allouche, est tué en 2015 par un raid des forces loyalistes. Il était le tenant d’un discours salafiste très hostile aux minorités religieuses, notamment alaouite et chiite. Son cousin, Mohammed Allouche, était l’un des représentants de l’opposition syrienne lors des négociations internationales tenues à Astana en 2017. L’expulsion du groupe du Sud de la Syrie a permis à la Turquie de l’intégrer parmi ses supplétifs.

Tous ces groupes sont donc tenants d’un islam radical, et avaient initialement pour objectif d’appliquer la charia en Syrie. Ils se distinguent néanmoins de groupes comme Daech ou Al-Qaida par le fait qu’ils n’appellent pas au djihad au niveau international, du moins dans leurs déclarations officielles.

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Edgar VAUQUELIN

Edgar Vauquelin est diplômé d'un Master 2 en science politique à l'IEP d'Aix-en-Provence. Il s'intéresse aux questions politiques et sécuritaires inhérentes au Moyen-Orient.

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