Comment comprendre la chute du rouble russe ?
La semaine qui vient de s’écouler en Russie aura vu le rouble perdre plus de 10% de sa valeur, atteignant des records historiquement bas face au dollar (qui s’échange contre 49 roubles) et l’euro (qui vaut désormais plus de 60 roubles). Depuis le début de l’année, le rouble russe a ainsi perdu plus d’un quart de sa valeur. Comment comprendre les raisons de cet effondrement de la devise russe et la panique financière qu’elle engendre ?
Le mercredi 05 novembre dernier, la Banque Centrale russe annonçait une réduction significative des efforts financiers mis en place pour stabiliser le cours de la monnaie du Kremlin. De plusieurs milliards de dollars, l’intervention financière quotidienne de la Banque Centrale déclinerait à 350 millions de dollars. Ce recul soudain de l’institution financière la plus puissante du pays est source de panique, tant pour les investisseurs que pour les ménages. Ces derniers se pressent de plus en plus en nombreux aux bureaux de change pour convertir leurs roubles en dollars, accentuant très classiquement la chute dangereuse de la valeur du rouble.
La chute des cours de matières premières et la situation actuelle en Ukraine sont pointées comme étant les deux principales causes du dérèglement de la situation financière russe actuelle. En outre, l’embargo russe à l’encontre de certains produits d’importation (mis en place en réponse aux sanctions occidentales), nourrit la croissance du taux d’inflation qui pourrait avoisiner les 8% d’ici la fin de l’année (pour mémoire, ce taux était de 6,5% fin 2013).
Des dysfonctionnements structurels profonds
En réalité, la situation en Ukraine ou la tendance des cours de matières premières à la baisse ces derniers mois ne semblent être que la partie émergée de l’iceberg. Au cours des années 2000, la croissance russe a reposé sur des gains en termes de productivité, et une stimulation de la consommation des ménages. Alors que les principaux grands émergents font reposer leur croissance sur les exportations et les investissements étrangers, la Russie a quant à elle cherché à valoriser des secteurs de production internes (hydrocarbures, transports, services publics…). Ces secteurs valorisés ont alors eu tendance à phagocyter les potentiels d’autres secteurs plus innovants, réduisant le champ productif russe. Cette situation était tout à fait viable dans les années 2000, puisqu’en remettant en service des capacités de production délaissées depuis l’époque soviétique, et en réduisant le chômage aux alentours des 5%, la Russie se dotait de facteurs de croissance interne. La Russie pouvait également compter sur des prix d’hydrocarbures particulièrement élevés. La croissance des revenus des ménages et la démultiplication des crédits permettaient quant à elles de stimuler le marché de consommation russe.
Aujourd’hui, les capacités productives de la Russie arrivent à saturation et la croissance du pays ne se fera désormais pas sans investissements étrangers. Or ceux-ci restent pour l’heure peu développés en raison des rigidités du marché russe. Certes, l’entrée de la Russie dans l’OMC en 2011 a su enclencher un processus d’uniformisation du cadre institutionnel, mais de nombreux progrès sont encore à faire, notamment concernant la corruption et l’indépendance de la justice. Les investisseurs sont d’autant plus frileux que les capitaux investis sont extrêmement volatiles et peuvent à tout moment disparaître, au gré des événements politiques ou géopolitiques.
Privée d’investissements étrangers et de moins en moins détentrice dollars issus de l’exportation de pétrole, la Russie voit ses réserves de change s’amenuiser et sa monnaie intérieure se fragiliser face aux attaques spéculatives. Les déséquilibres actuels de l’économie russe s’étendent donc bien au-delà de la crise ukrainienne. Le retrait quasiment total de la Banque Centrale russe dans la stabilisation du cours du rouble illustre d’ailleurs bien une prise de conscience globale sur le peu de résultats obtenus par les efforts de stabilisation depuis la crise des subprimes – des efforts menés en vain puisque les mesures financières ne sont pas suivies de réformes institutionnelles. La stabilité du rouble face aux crises économiques, politiques ou sociales reposera en définitive d’une part sur l’acceptation par les gouvernements russes de la nécessité de faire appel aux capitaux étrangers, et d’autre part sur la réforme profonde de la politique économique russe.