Rétrospective 2015 : des dirigeants africains qui s’accrochent au pouvoir
En 2015, l’Afrique de l’Ouest a vu la fin de l’épidémie Ebola, la Guinée-Conakry annonçant officiellement le 29 décembre la fin de l’épidémie sur son territoire après deux années de lutte. L’économie du continent croit à un rythme très avancé et lui donne l’espoir d’être considéré comme un nouvel eldorado mondial et de pouvoir attirer massivement les fonds occidentaux et asiatiques. Cependant, malgré certains indicateurs qui peuvent être sources de beaucoup d’espérances, le manque de stabilité démocratique dans quelques pays handicape tout le continent, ternissant l’image globale africaine auprès des investisseurs qui redoutent plus que tout des troubles politiques. Nous verrons comment en 2015, des dirigeants ont réussi à contourner leur constitution et comment d’autres s’apprêtent à le faire en 2016.
Pour commencer, il convient de remarquer que si les passations de pouvoir ne sont pas forcément une évidence dans certains pays africains, il en est d’autres où elles se sont passées dans un climat apaisé. C’est notamment le cas du Nigeria, pays le plus peuplé et première économie du continent où Goodluck Jonathan, candidat du Parti Démocratique Populaire (PDC) a passé le pouvoir pour la première fois dans le calme à un opposant, Muhammadu Buhari. En Côte d’Ivoire, point de passation mais une réélection pour Alassane Ouattara réélu à plus de 80% des voix, malgré une abstention de 46%, ce qui constitue une grande avancée pour ce pays qui a connu une guerre civile lors de son dernier scrutin présidentiel. Mais malgré ces bonnes nouvelles, des dirigeants continuent à considérer qu’une fois en place ils sont dans leur droit pour y rester. Paul Kagamé, président du Rwanda depuis 2003 mais au cœur de la politique rwandaise depuis 1994, annonçait en 2010 après sa réélection qu’il lui faudrait trouver un successeur à la fin de ce deuxième mandat puisque celui qui fait un troisième mandat désire en faire un quatrième puis un cinquième. Le même Paul Kagamé qui malgré les très fortes critiques occidentales, majoritairement américaines, a remporté un référendum le 17 décembre à hauteur de 98% lui autorisant théoriquement de rester au pouvoir jusqu’en 2034. Il a annoncé dans ses vœux pour l’année 2016 sa candidature à l’élection présidentielle de 2017. S’il bénéficie d’une opinion publique majoritairement favorable grâce à ses travaux de reconstruction de la nation et de performance économique, cela n’a pas été si facile partout dans la région.
Le Burundi qui flirte dangereusement avec les dérives ethniques
Car les autres cas de forçage de la constitution se situe principalement en Afrique centrale. Au Burundi tout voisin, Pierre Nkurunziza s’est présenté pour un troisième mandat malgré l’article 7 des Accords d’Arusha qui stipulent que : « nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels ». En mai 2015, un coup d’état avorté fait monter la tension et entraîne une radicalisation des camps. Les élections en juin ont vu la victoire de Nkurunziza dans des conditions très violentes. Sur la fin de l’année, des références explicites à l’ethnie (hutu) des opposants a fait frémir l’opinion publique africaine qui craint des violences ethniques dans un pays limitrophe du Rwanda et qui a connu son propre génocide dans les années 1970. En décembre, une force armée menée par un ancien lieutenant de l’armée régulière se crée pour lutter contre la « dictature féroce » et un « génocide rampant ». Le pays court donc un grand danger en 2016, étant donné les risques que font porter les milices paramilitaires sur la stabilité de la région.
Le Congo-Brazzaville en quête d’alternance politique
Un autre pays qui a vu la tension augmenter au cours de l’année 2015 pour un dénouement en 2016 est le Congo de Denis Sassou Nguesso (31 ans à la tête du Congo). Sassou Nguesso a en effet fait modifier la constitution de 2002 qui limitait les mandats présidentiels à deux consécutifs et l’âge du candidat à moins de 70 ans. Denis Sassou Nguesso, au pouvoir depuis 1979, sauf un interlude de 5 ans dans les années 1990 réussira-t-il à garder le pouvoir ? Le changement de Constitution, malgré quelques heurts, s’est relativement bien passé, malgré une contestation forte des résultats. Il est donc peu probable que le résultat de la présidentielle lui soit défavorable. Cependant les Congolais ont vu en 2014 les Burkinabés démettre B. Compaoré, au pouvoir depuis 27 ans, et leur volonté d’alternance politique pourrait se retrouver dans les urnes.
La RDC, un pays dont la fragilité handicape toute la région
En République Démocratique du Congo (RDC), pays situé entre le Rwanda, le Burundi et le Congo, Joseph Kabila s’évertue à repousser les élections. Fils de Laurent-Désiré, il avait succédé à son père quand ce dernier avait été assassiné en 2001 dans le contexte de la Deuxième Guerre du Congo. En janvier 2015, Kabila a fait modifier la loi électorale qui pose maintenant comme préalable aux élections un recensement de la population, ce qui représente un défi irréalisable dans ce pays gigantesque aux moyens très faibles et dont une partie du territoire est en guerre. Cette modification avait entrainé des manifestations qui avaient fait au moins 4 morts. Le président au pouvoir est notamment accusé par l’opposition de ne pas tenter de régler le conflit dans l’est du pays pour conserver un état de tension qui lui permet de mieux repousser les élections. Il est cependant peu probable que Kinshasa puisse faire beaucoup plus dans l’est du fait de ses très faibles moyens et de la corruption endémique au sein de son armée.
2015 a donc été le théâtre d’arrangements constitutionnels qui empêchent certains pays d’installer leur démocratie. Si ces pays sont sur le devant de la scène du fait d’une opposition plus ou moins forte, rappelons le cas de la Guinée-Conakry où Alpha Condé a par exemple été réélu malgré les critiques sur le déroulement du scrutin ou le Zimbabwe où Robert Mugabe s’est arrangé pour pouvoir être réélu jusqu’à ses 99 ans. L’Afrique connaît une période très favorable malgré de problèmes profonds qui doivent être absolument réglés si le continent veut réussir à s’inscrire dans la modernité.