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La Serbie et la Croatie : le temps de la discorde

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L’année 2016 a été marquée par plusieurs incidents entre la Serbie et la Croatie. Les deux pays s’accusent régulièrement l’un et l’autre de dérapages diplomatiques ce qui ne leur permet pas d’assainir une relation bilatérale dévorée par son passé. L’âpreté des échanges entre Zagreb et Belgrade témoigne d’une incapacité commune à tourner la page d’une histoire criblée de souvenirs douloureux.

Guerre des mots et tensions mémorielles

Kolinda Grabar-Kitarović, élue Présidente de la République de Croatie en janvier 2015.

La mémoire, au-delà d’être un vecteur identitaire propre à chacun, revêt une importance capitale dans la définition de ce qui fut, ce qui est, et ce qui sera l’histoire d’un pays, d’un peuple, d’une communauté. Elle est, en outre, au cœur de luttes dans la définition a posteriori de l’histoire. La seconde guerre mondiale, mais aussi la guerre en ex-Yougoslavie, tiennent de nos jours une place importante dans la définition de la mémoire entre Belgrade et Zagreb. Ces conflits ne sont évidemment pas les seuls à définir l’identité de la région mais la manière dont ils sont commémorés en Serbie et en Croatie constituent un véritable enjeu dans le devenir de la relation serbo-croate.

Par exemple, la Croatie commémore tous les ans l’opération « Oluja »[1] (« Tempête »). Considérée comme une libération, le « jour de la Victoire », du côté de Zagreb, cette opération est au contraire jugée comme un crime de guerre par Belgrade. La commémoration de cet épisode marquant de la guerre en ex-Yougoslavie est un sujet extrêmement sensible dans les relations entre Zagreb et Belgrade. La vivacité mémorielle de cet événement tient d’une part à l’aspect décisif de cette attaque dans la tournure que prendra la guerre en Croatie, mais aussi parce qu’aujourd’hui, le retour des Serbes de Croatie sur leurs terres d’origine reste très lent et très partiel.

Au-delà de cette commémoration sensible, plusieurs incidents viennent régulièrement jeter le trouble sur la relation entre les deux Etats. Ce fut par exemple le cas en 2014 lors du retour à Belgrade de l’ultranationaliste serbe Vojislav Šešelj. Le gouvernement croate avait alors exigé que la Serbie fasse tout son possible pour mettre un terme aux provocations de la part du leader de l’extrême droite nationaliste serbe à l’encontre de Zagreb. Son acquittement en mars 2016 par le TPIY, après avoir été accusé de neuf crimes de guerre contre l’humanité dans le cadre de la guerre en ex-Yougoslavie, a provoqué une véritable onde de choc régionale et en particulier auprès de Zagreb et Sarajevo. La crise des réfugiés qui touche les Balkans est aussi un sujet sensible entre les deux pays. En 2015, la frontière serbo-croate a été l’objet de blocages de part et d’autre de la ligne de démarcation entre les deux Etats. La diplomatie serbe s’était insurgée contre des mesures d’interdictions d’entrée en Croatie pour les détenteurs de documents de voyage serbes et de véhicules immatriculés en Serbie, au motif que les flux de réfugiés en provenance du territoire serbe ne devaient plus franchir la frontière en direction de la Croatie. En contrepartie, Belgrade avait temporairement fermé sa frontière aux camions croates et aux produits d’origine croate.

Dernier épisode en date, l’affaire « Chokolinda » («Čokolinda »), renommée ainsi après que la présidente croate  Kolinda Grabar-Kitarović ait distribué involontairement des chocolats serbes à des enfants d’une école maternelle de la ville croate de Dubrovnik à l’occasion du « jour des Défenseurs de Dubrovnik »[2]. Rapidement tournée en dérision sur les réseaux sociaux, cette affaire montre à quel point les sensibilités se heurtent, alimentées par une guerre de mots et de propos provocateurs. Belgrade s’insurge régulièrement contre la montée d’un nationalisme rampant en Croatie, alors même que Zagreb accuse les autorités serbes d’utiliser une rhétorique propre aux années de guerre en ex-Yougoslavie.

Des tensions bilatérales qui se répercutent sur l’intégration européenne de la Serbie

Ces tensions se répercutent directement sur le processus d’adhésion de la Serbie au sein de l’Union européenne. Membre depuis le 1er janvier 2013, la Croatie est accusée par Belgrade de freiner le processus d’adhésion du pays à l’UE. En effet, Zagreb s’est plusieurs fois opposée à l’ouverture de différents chapitres des négociations d’adhésion. Ce fut le cas pour le chapitre 23 (appareil judiciaire et droits fondamentaux), puisque la Croatie exigeait de la Serbie un plus grand respect du droit des minorités, et c’est actuellement le cas pour le chapitre 26 (éducation et culture). La Croatie a en effet bloqué l’ouverture de ce chapitre en décembre 2016, au motif que la Serbie tarde à traduire les manuels scolaires destinés à la minorité croate. En pleine négociation quant à son adhésion à l’UE, la Serbie est en relation permanente avec Bruxelles et les débats portent sur le corpus juridique communautaire (acquis communautaire), divisé en 35 chapitres thématiques, que chaque Etat désireux d’intégrer l’UE doit respecter.

Ces velléités réciproques sont aussi le résultat d’un nationalisme ambiant alimenté par une classe politique qui ne cesse de souffler sur les braises d’une guerre ancrée dans la mémoire collective. Pourtant, l’apaisement des tensions entre les deux pays est plus que nécessaire. Il permettrait la réouverture de dossiers sensibles entre Belgrade et Zagreb, et notamment la relance du chapitre 26 des négociations de l’adhésion de la Serbie à l’UE. Au cours des années 2000, les deux pays avaient su créer un dialogue constructif et voué à l’apaisement entre les peuples.

Telles des montagnes russes, les relations entre Belgrade et Zagreb évoluent au fil des changements politiques à la tête de chacun des Etats, et il est aujourd’hui crucial qu’elles retrouvent le chemin de la raison. Les prochaines élections présidentielles en Serbie auront lieu en avril 2017. Elles auront un impact sur la relation entretenue entre Belgrade et Zagreb, et plus largement sur les rapports entre les différents Etats de la région.

 

[1] Cette opération menée entre le 4 août et le 7 août 1995 a permis à la Croatie de reconquérir le territoire de la « Krajina », qui était contrôlé depuis 1991 par les forces serbes de Croatie qui y avaient proclamé une « République de Krajina ». Le bilan de cette opération est conséquent : exil de plus de 250 000 Serbes de Croatie ; plus de 2 000 victimes et plus de 2 000 personnes portées disparues. 

[2] Chaque année, le 6 décembre, la ville commémore les combattants morts lors du siège de la ville croate par l’armée yougoslave en 1991.

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