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L’Islam politique et l’Occident (1/3) : naissance d’un mouvement dans le tourbillon politique du XXème

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Ce qu’on a tendance à désigner de façon indifferenciée et conglomérée comme « Islamisme » admet en vérité différents degrés et différentes distinctions. Tout d’abord ceux qui sont islamistes et ceux qui ne le sont pas – auxquels on s’intéressera moins aujourd’hui et qui n’ont finalement que peu de bases communicantes avec notre sujet – mais qui utilisent l’islam comme arme politique, on peut penser par exemple à Kadhafi et son petit Livre vert. De l’autre côté, il y a les « islamistes ». Encore une fois il faut être prudent ; commençons par les appeler salafistes – pour les quiétistes – ce qui, théologiquement, sera plus exact. Il faut donc distinguer d’un côté les « quiétistes », qui prêchent un mode de vie similaire à celui de Mahomet – tel que le décrit le Coran – mais qui réfutent toute idée de violence expansionniste, d’attaques contre une société avec laquelle généralement ils trouvent à s’accommoder ; et de l’autre, les « djihadistes » au sens guerrier du terme, c’est-à-dire détruire l’Occident (les mécréants) par la violence. Soit comme le voulait Al-Qaïda à travers Al-Suri faire tomber l’Occident de l’intérieur, le Djihad global devient une arme d’entrisme, qui prépare l’arrivée de l’Apocalypse et du règne islamique ; soit à la manière de Daesh en s’assurant une assise territoriale, moins idéologique et intellectuelle, mais en se plaçant à l’égal des Etats et en leur « déclarant la guerre » à la manière de n’importe quelle nation – ici par la re-création d’une « nation islamique », communauté de destin religieuse –.

Cet islam politique, vieux d’à peine un siècle, a toujours eu des liens très étroits, mais polymorphes et aux contours mouvants, avec l’Occident. L’analyse qui est ici proposée est probablement incomplète et certainement schématique mais elle aura – je l’espère – le mérite d’éclairer le lecteur sur certaines questions essentielles et de le pousser, par lui-même, à chercher plus loin. En se replaçant dans un contexte historique, nous essaierons donc de dégager une grille de lecture claire, celle-ci nous permettant d’imaginer quels seront à l’avenir les enjeux que devra affronter l’Occident. Nous commencerons ici par expliquer historiquement et idéologiquement l’islam politique par deux intellectuels, aux convergences édifiantes, qui permettent de replacer sa naissance dans le XXème siècle.

Sayyid Abul Ala Maududi et le retour du jihad

Drapeau du Jamaat-e-Islami

Intellectuel Pakistanais, né en 1903, il entreprit, en parallèle de l’enseignement religieux à domicile, l’étude des langues et particulièrement de l’anglais qu’il maîtrisait à la perfection, mais aussi des sciences « dures » comme les mathématiques ou la physique. Brillant élève, ses études furent troublées par des difficultés financières et la maladie, puis la mort, de son père.

Sa lutte politique véritable, influencée probablement par une éducation religieuse rigoriste, débute en 1939 avec une lettre – en anglais – adressée au Gouverneur britannique, dans laquelle il attaque la politique coloniale et revendique le jihad comme moyen de légitime défense face aux agressions de sociétés occidentales non-islamiques. C’est-à-dire, au sens de Maududi, qui n’appliquent pas la Charia, loi islamique tirée des informations sur la vie du Prophète et la manière dont il voulait organiser la société. Le 26 août 1941, il fonde à Lahore, en Inde britannique (Pakisatan), le parti islamiste Jamaat-e-Islami (parti islamique) – qui a encore aujourd’hui quatre députés – et qui a pour but de promouvoir les valeurs islamiques et leurs pratiques. A partir de 1947 – après avoir fait partie de la ligue musulmane plus modérée – il déménage au jeune Pakistan indépendant pour en faire un Etat Islamique. Il s’ensuivit de nombreuses condamnations, dont une à mort, commuée en emprisonnement à vie puis annulée. Il est le premier à parler d’Etat Islamique, en 1941 dans La Loi Islamique et la Constitution. Il est aussi à l’origine du caractère révolutionnaire de l’islam politique. Enfin, il est le fondateur idéologique de la globalisation du jihad, détruire toutes les sociétés non-islamiques : « L’Islam souhaite détruire tous les états et gouvernements partout sur la face de la terre qui sont opposés à l’idéologie et au programme de l’Islam ». Il se rapproche en de nombreux points de notre deuxième personnage, choisi en ce début de XXème siècle pour la postérité dans laquelle il est entré : Sayyid Qutb.

Sayyid Qutb, des « Frères » au Qutbisme

Proche à l’origine des mouvements panarabes et nationalistes égyptiens, comme le parti Wafb, il intègre les Frères Musulmans et prend la tête de leur publication en 1953. Écrivain, il étudie tardivement le Coran. Dans cette période trouble pour le monde arabe, il dénonce violemment, usant de ses talents pamphlétaires, la colonisation européenne et la repression face aux mouvements d’indépendances. Il combattra Nasser, farouche adversaire des Frères et de leur islamisme, et sera condamné en 1954, relâché dix ans plus tard. De nouveau arrêté en 1965, il sera accusé – il le réfutera – d’avoir créé un mouvement armé et sera pendu le 29 août 1966.

Drapeau des Frères Musulmans

Idéologiquement, Qutb est un personnage original, puisqu’il se situe à la marge des Frères Musulmans. Très proche au début de sa recherche théologique, il s’en éloignera, notamment sur l’arabisme qu’il mettra clairement de côté, rompant avec l’un des piliers de l’islamo-nationalisme de Hassan el-Banna, fondateur des Frères. Sa doctrine est fondée sur la Jahiliya (ignorance de l’islam), et, par extension, le Takfirisme, c’est-à-dire exclure de la communauté musulmane tous les fidèles qui ne respectent pas les principes de la Charia ; ils deviennent des mécréants, des ennemis de l’islam. Il rejoint Maududi sur l’idée de créer un Etat Islamique respectant le Coran de manière absolue, en renversant les hommes à la tête du pays par une révolte sociale. Il souhaite alors ré-islamiser la population par le haut, pour la « soigner » du nasserisme. Ce glissement donnera naissance à un nouveau courant de pensée, le qutbisme, qui servira a justifier le djihad violent de Abdallah Azzam et autres Ben Laden dans les années 1980.

Le choix de ces deux personnages n’est finalement pas un hasard ; ils développent chacun une nouvelle conception de l’islamisme, violent, révolutionnaire, contestataire, qui s’insère historiquement dans une période d’effervescence populaire et de climat printanier, face aux pouvoirs établis. Il est donc cohérent de voir apparaître à ce moment précis, au sein de la communauté musulmane, une idéologie de rupture. Ils influencèrent tout deux l’islamisme du début des années 1970-80, et permettent de mieux appréhender ce que l’on traitera dans les deux parties suivantes : la relation actuelle, qui n’est plus celle de l’époque de la décolonisation, entre l’Occident et l’islam politique et par translation géographique, avec une certaine partie du monde arabe.

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