Quel avenir pour la Constitution japonaise ? [1/2]
Le ciel s’assombrit au pays du soleil levant. Les augures sont mauvais pour Shinzo Abé. Son projet phare d’amendement de la Constitution japonaise restera vraisemblablement en suspens. Alors que le terme définitif du mandat du chef du gouvernement approche, des crises majeures mettent à mal l’agenda politique du Parti Libéral Démocrate nippon (PLD). Entre les difficultés économiques, le report des JO et les critiques liées à la légèreté des mesures adoptées pour enrayer l’épidémie de coronavirus sur le territoire, le gouvernement nippon peine à garder la tête hors de l’eau. Progressivement, le projet phare et contesté d’amendement de la Constitution s’efface. Revenons sur cette vieille ambition, dont la concrétisation était pourtant pressentie pour 2020.
Un carcan constitutionnel hérité d’un contexte tourmenté
Face aux scandales de corruption qui avaient minés la crédibilité de son Parti, Abé Shinzo avait pourtant revu ses prétentions à la baisse en décembre 2019. Le chef du gouvernement laissait effectivement entendre qu’il mettait temporairement son projet d’amendement de la Constitution de coté. Aujourd’hui, de nouvelles crises dont la gestion est à prioriser, alliées à une opinion globalement défavorable, lui font définitivement barrage. Parfois laissé de côté mais jamais oublié, le projet de révision constitutionnelle forme pourtant l’ADN du PLD depuis son accession au pouvoir.
Toujours en vigueur, la Constitution japonaise, aussi appelée Constitution de la Paix, possède une particularité qui distingue le Japon des autres puissances : ses Chapitre II et article 9. Selon ce dernier, il est interdit au Japon de se doter d’une force militaire »à des fins de menace, de guerre ou d’user de la force comme moyen de règlement des conflits internationaux ». Sa Constitution fait donc du Japon un Etat officiellement pacifiste. Plus encore, la réfutation constitutionnelle du droit de se doter de »tout autre potentiel de guerre » sous-entendrait que l’archipel ne puisse même pas assurer sa propre défense. Le texte marque donc une rupture avec le passé impérialiste du pays, mais l’enferme dans une situation difficilement tenable au long terme.
Une dépendance subie en matière de défense
Parler de Constitution japonaise est presque un abus de langage. En 1947, le commandement suprême des forces alliées (SCAP) dirigé par le Général américain Mac Arthur administre un Japon ravagé par la guerre. Son rôle est central dans la rédaction de la Constitution qui entre en vigueur le 3 mai 1947. Le texte ne peut par conséquent pas être considéré comme le fruit du peuple japonais souverain.
La période d’occupation alliée s’étendra jusqu’à 1951 avec la signature du Traité de San Francisco qui marqua le renoncement légal du Japon à assurer sa propre sécurité. Le premier ministre Yoshida Shigeru admet que le pays doive faire reposer sa sécurité sur son allié américain. La possession de forces militaires nationales est alors rendue inutile et inconvenante. Le pays se focalisera exclusivement sur son économie. Cette posture portera d’ailleurs ses fruits puisque le Japon connaîtra une croissance économique fulgurante à partir des années 50.
Privé de capacité militaire propre, Tokyo peine cependant à s’imposer sur la scène internationale. Enfermé dans un carcan constitutionnel très limitatif, le pays peine à envisager la conduite de politiques extérieures notoires sans les Etats-Unis. Bien qu’il accède au statut de puissance économique, le Japon demeure un ‘’nain politique’’ aux yeux du monde.
L’ascension du mouvement révisionniste…
La période de la Guerre froide est propice à la reformation d’une armée japonaise indépendante. Un bord politique contestataire puissant, représenté à l’époque par le démocrate Hatoyama Ichiro s’implante durablement en politique à partir de 1955. Très rapidement après son accession au pouvoir, le parti conservateur représenté par Hatoyama s’engage dans une croisade contre la Constitution imposée. Le secrétaire général du Parti, Kishi Nobusuke, s’inscrira sur une ligne encore plus offensive que son Premier Ministre. Il lui succédera en 1957 et obtiendra trois ans plus tard la révision du Traité de 1951, alors jugé trop inégal.
Les dissensions qui étaient restées jusque-là silencieuses, trouvent désormais une tribune politique pérenne pour s’exprimer. Le nationalisme d’avant-guerre resurgit parmi les personnalités politiques et l’amertume de l’humiliation subie défie le tabou.
Le scepticisme de la population contraint néanmoins le PLD à adopter une posture plus mesurée dans les années 1960. Les gouvernants demeurent concernés par le maintien de l’unité sociale japonaise tout juste retrouvée. Ils craignent aussi qu’un soulèvement communiste sape leur tentative d’accession à l’indépendance militaire avec les Etats-Unis. Pour autant, la longévité record du Parti lui permettra progressivement de poursuivre la renormalisation militaire du pays.
[1] Afin de ne pas aller à l’encontre de la lettre de l’article 9, ces forces ne seront pas explicitement nommées ‘forces armées’. Leur création annonce cependant le processus de remilitarisation de l’archipel à venir.
Bibliographie
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