Tokyo 2020 : Les Jeux et le casse-tête du sport mondial [3/3]
Au-delà du simple enjeu sportif, la modification calendaire des Jeux Olympiques et Paralympiques aura un impact majeur sur les secteurs économiques et politiques. Ce dernier volet s’intéressera aux conséquences du report dans le domaine premier des Jeux : le sport. Décaler les Jeux à 2021 a créé un effet en cascade, où chaque événement déplacé aura un impact sur un autre. D’autant que de nombreuses disciplines et compétitions dépendent directement du calendrier des Jeux Olympiques et de leur système de qualification.
Des reports en cascade pour 2022
La Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) a ouvert la voie en annonçant l’ouverture de pourparlers avec les organisateurs sur un report des Championnats du Monde 2021. Le président de l’IAAF, Sebastian Coe a annoncé leur reprogrammation du 15 au 22 juillet 2022. De son côté, la Fédération de natation a indiqué le report des Mondiaux du 13 au 29 mai 2022. L’équation s’annonçait ardue : les Jeux du Commonwealth doivent se dérouler à Birmingham (Grande-Bretagne), du 27 juillet au 7 août. Quant à la deuxième édition des championnats d’Europe multisports, elle se tiendra à Munich du 11 au 21 août 2022. Les Jeux de la Francophonie, prévus initialement du 23 juillet au 1er août 2021 à Kinshasa (République Démocratique du Congo) auront lieu à l’été de 2022.
D’autres sports olympiques devront aussi réviser leur calendrier afin de s’adapter à des Jeux décalés. En judo comme en gymnastique, des Championnats du Monde se tiennent tous les ans, à l’exception des années olympiques. Si les dates prévues – en septembre 2021 pour le judo en Ouzbékistan, à Copenhague du 18 au 24 octobre pour la gymnastique – ne coïncident pas avec les dates olympiques, les Fédérations internationales pourrait décider de décaler ces Mondiaux afin d’alléger le calendrier des athlètes. De même, la branche européenne des Fédération internationale de basket-ball et de volleyball devront revoir leur copie : les Euros étaient au programme de l’été 2021. Il en sera de même pour le cyclisme, où les dates du Tour de France se superposent aux dates des Jeux. Ouest France indique que de nombreux sports seront au final impactés, parmi lesquels l’aviron, l’haltérophilie ou le taekwondo.
La révision des critères de qualification
Le CIO a également dû procéder à la révision des principes de qualification olympiques. Les athlètes déjà qualifiés – soit 57% des 11 000 participants – resteront qualifiés. Cependant, les Comités Nationaux Olympiques demeureront maîtres pour sélectionner leurs athlètes. En outre, le CIO a prolongé la période de qualification jusqu’au 29 juin 2021. Les fédérations internationales conserveront “leurs propres dates limites pour la période de qualification pour autant que celles-ci soient antérieures au 29 juin 2021”. La Fédération d’athlétisme des États-Unis (USATF) a ainsi annoncé que les “Trials” se tiendront du 18 au 27 juin 2021.
Concernant les places attribuées par classement, les Fédérations internationales auront toute latitude pour “définir la nouvelle date limite du classement et le processus de qualification”. De même, répondant aux interrogations des athlètes, le CIO a rendu possible “pour les FI d’étendre les critères d’admission relatifs à l’âge, le cas échéant, et de permettre aux athlètes qui étaient admissibles en 2020 de le rester » un an plus tard”. Les fédérations internationales auront à l’inverse le rôle d’évaluer l’admissibilité des athlètes trop jeunes pour l’édition 2020 mais qui atteindront la limite d’âge requis l’année prochaine.
Enfin, l’instance olympique suprême a annoncé le maintien des programmes sponsorisés par le CIO. Les bourses de la Solidarité olympique pour les athlètes se préparant aux Jeux ainsi que le programme de soutien aux athlètes réfugiés ont été prolongés jusqu’en 2021. Le CIO a par ailleurs annoncé une allocation supplémentaire d’un montant de plus 25 millions de dollars au programme de Solidarité olympique, afin de “couvrir les coûts supplémentaires des athlètes et des équipes liés au report d’un an des Jeux de Tokyo”. Selon le CIO, 1 600 athlètes issus de 185 CNO bénéficient actuellement de ces bourses.
Quel impact pour Paris 2024 ?
Le report des Jeux Olympiques et Paralympiques de Tokyo 2020 modifie aussi la donne pour Paris 2024. Dans des propos relayés par Francs Jeux, le directeur général du COJO Paris 2024, Etienne Thobois, fait le point sur la question. Il a cependant tenu à relativiser l’impact de la pandémie de Covid-19 sur l’organisation des Jeux parisiens. Pourtant, le secteur du marketing sera le premier à subir le contrecoup de la crise sanitaire du Covid-19. En effet, pour la première fois dans l’histoire de l’olympisme, 2021 sera une année de double olympiade. Cette cohabitation forcée pourrait nuire à Paris 2024 dans sa quête de sponsors, laissant craindre une année blanche. Cependant, Paris 2024 a déjà signé des partenariats de longue date avec le groupe BPCE, EDF, la FDJ et Le Coq Sportif.
Tony Estanguet, le président de Paris 2024, a souligné à ce titre que le report des Jeux pouvait être une opportunité en termes de visibilité pour les entreprises partenaires de Paris 2024. “Certains sponsors qui vont nous rejoindre dans l’année qui vient vont même bénéficier de l’exposition des Jeux de Tokyo alors que, s’ils avaient eu lieu cet été, cela n’aurait pas été le cas”, a-t-il appuyé. Néanmoins, la crise sanitaire bouleversera l’organisation logistique et la communication des Jeux.
La mobilisation des Français autour de ce grand événement devait débuter à l’été, avec l’organisation de la Journée olympique le 23 juin et le lancement du Club 2024. Paris devra réadapter son programme, et, alors que l’interdiction des grands rassemblements pourrait se poursuivre jusqu’au début de l’année 2021, le COJO aura à se montrer innovant, avec le développement de nouvelles formes de communication et de mobilisation. Etienne Thobois perçoit là aussi une opportunité pour Paris 2024 dans l’après-crise. “Nous devons être encore plus une force d’inspiration. Paris 2024 devra reprendre sa place dans le paysage collectif, mais en veillant à rester à sa place”, explique-t-il.
Conclusion : vers une annulation des Jeux ?
La priorité pour les organisateurs des Jeux de Tokyo 2021 est désormais de chiffrer les coûts du report. Le CIO et le Comité d’organisation des Jeux Olympiques ont insisté sur la nécessité de “réduire les coûts pour le Japon”. La liste des coupes budgétaires devrait s’allonger. D’autant que l’impact positif des Jeux Olympiques et Paralympiques sur l’économie japonaise pourrait être plus faible qu’estimé en 2021. Si John Coates, membre de l’équipe d’inspection du CIO espère que les Jeux pourront offrir un “électrochoc à l’économie” et “relancer l’industrie touristique”, les économistes se montrent plus prudents. Les experts s’inquiètent particulièrement d’une fréquentation moindre des Jeux en 2021. Les visiteurs pourraient se montrer réticents à se rendre aux Jeux, ne serait-ce que par crainte d’une nouvelle crise sanitaire.
Le Japon et le CIO espéraient faire du report des Jeux de Tokyo une opportunité, un symbole de la résilience du monde face à la pandémie. Pourtant, de nombreuses voix se sont élevées ces derniers jours pour soulever la question d’un report plus long. Le directeur général des Jeux, Toshiro Muto, s’est montré très prudent sur la tenue des Jeux à l’été 2021, soulignant que “personne n’est capable de dire si tout sera sous contrôle en juillet prochain. Nous ne sommes certainement pas en position d’apporter une réponse claire”.
Un point de vue finalement soutenu par Shinzo Abe lui-même, qui a averti le 29 avril que les Jeux olympiques ne pourront “pas avoir lieu (…) si la pandémie n’est pas contenue”. Ils seront dans ce cas annulés, a prévenu Thomas Bach, le président du CIO. Une ère d’incertitude s’est donc ouverte pour le monde de l’olympisme. La date des Jeux Olympiques et Paralympiques 2020 pourrait bien devenir la question piège du prochain siècle.
Note
Une version longue de cet article est publiée sur le site des Ambassadeurs de la jeunesse.