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La course aux vaccins : un combat avant tout politique

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Le mardi 8 décembre dans un hôpital de Coventry dans le centre de l’Angleterre, il s’est passé un événement que nul expert n’eusse été capable de prédire six mois plus tôt. Margaret Keenan, une grand-mère britannique de 90 ans, a été la première à recevoir le vaccin contre la Covid-19 dans un pays occidental, alors que Chine et Russie vaccinent de leur côté depuis plusieurs semaines. Elle a été la cible de toute une série de fake news. Certains affirment qu’elle est décédée en 2008 alors que d’autres la soupçonnent d’être une actrice au service de l’Establishment. Une situation marginale qui en dit pourtant long sur l’état de défiance général qui règne autour de ces vaccins obtenus en un temps record.

La course à la vaccination anime la concurrence des grandes puissances
Vacciner, un enjeu seulement sanitaire ?

Un record absolu

Quand on sait qu’il a fallu 6 ans pour l’hépatite B, 12 ans pour la grippe, 40 ans pour la tuberculose et que nombre de maladies ne connaissent toujours pas leur vaccin on reconnaît volontiers que l’industrie pharmaceutique et les laboratoires de recherche ont fait preuve d’une efficacité historique. Une centaine de vaccin sont à l’étude alors qu’une dizaine de nationalités diverses sont actuellement en phase III, une phase faisant intervenir des essais cliniques de grande taille avec plus de 10 000 participants et visant un taux de protection de 60%. Une efficacité due en grande partie au fait que les grandes puissances aient alloué des sommes colossales à la recherche d’un vaccin. Ainsi, 5 milliards de dollars ont été injectés dans les caisses des laboratoires alors qu’en temps normal ils ne peuvent compter que sur leur budget annuel.

Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que notre monde évolue vers des chemins antinomiques. Il est tiraillé d’un côté par la nécessaire collaboration transnationale des scientifiques dans un contexte d’hyper mondialisation et de l’autre par un retour presque unanime à des systèmes souverainistes voire égoïstes qui ont connu leur apogée alors que la crise battait son plein.

La course au vaccin n’échappe donc pas au désir des grandes puissances de bomber le torse en proposant un vaccin – et même une campagne de vaccination – à leur image, aux rivalités géopolitiques et idéologiques de certains concurrents et à l’impuissance des pays les plus démunis lors des négociations tarifaires.

La vaccination, un pari politico-diplomatique

« L’épidémie a commencé en Chine et elle se terminera aux États-Unis ». Cette simple déclaration de Donald Trump au lendemain de la découverte du vaccin Pfizer-BioNTech est symptomatique de l’atmosphère géopolitique qui a régné tout au long de cette crise. La nouvelle donne insufflée par la découverte de plusieurs vaccins poursuit cette dynamique, redonnant à l’État-nation toute sa splendeur d’antan. Prenons un cas concret en se penchant sur l’exemple de l’Union européenne.

Les images d’une Italie recevant du matériel et des masques chinois en début de crise à défaut de soutien de ses voisins ont été dévastatrices pour cette Europe qui se dit unie et solidaire. Depuis, le comportement de l’Union européenne a été radicalement corrigé avec une BCE qui a permis à l’Europe de ne pas sombrer dans une récession dont elle ne se relèverait pas. Elle a mis en place un Programme d’Achats d’Urgence Pandémique (PEPP) en mars pour un montent de 1 350 milliards de dollars dans le but de permettre aux États d’emprunter plus facilement, aux entreprises et aux ménages de bénéficier d’aides.

Des paris différents  

Cependant, une fois n’est pas coutume, l’Europe fut à moult reprises alpaguée pour sa lenteur, son manque de coordination, son absence de concertation globale. La politique commune de vaccination annoncée par Ursula Van Der Leyen et qui a débuté le dimanche 27 décembre a cependant permis à l’Europe de redorer son blason. En achetant ensemble les vaccins, en les distribuant selon les populations de chaque pays, en dressant un calendrier et des objectifs communs, les européens ont su faire preuve de solidarité. Ces initiatives donnent sans doute raison à Jean Monnet qui avait affirmé que « l’Europe se fera dans les crises et qu’elle sera la somme des solutions apportées à ces crises ».

A l’inverse, critiqué pour sa gestion erratique de la crise, Boris Johnson n’était pas peu fier de proclamer que le Royaume-Uni vaccine en tête avant même le pays d’origine du vaccin, ce qui a eu le don d’agacer vigoureusement Washington. Londres a même un peu tordu le cou à la réalité en affirmant que c’était grâce au Brexit qu’il pouvait vacciner plus tôt alors que le Royaume-Uni suit toujours les règles de l’UE. Le gouvernement conservateur a simplement utilisé une clause d’urgence alors que le reste de l’UE a préféré attendre la validation de l’AEM qui est finalement tombée le mardi 22 décembre.

Force est de constater que les gouvernements et leurs institutions risquent gros dans cette campagne de vaccination. Ils paieraient cher électoralement une logistique défaillante ou un refus massif de se faire vacciner par leur population. Le gouvernement français est par exemple sous le feu des critiques en raison de la lenteur du processus. En effet, alors que des millions de doses sont en stocks, seuls quelques centaines de Français sont a à ce jour vaccinés contre le virus. Il y a aussi un enjeu planétaire dans ce que l’on pourrait appeler un nationalisme des vaccins. Celui-ci, clé de sortie de la crise sanitaire, n’échappe pas aux logiques géopolitiques classiques.

La Chine, qui a réécrit l’histoire de cette pandémie pour faire oublier les mensonges initiaux et vanter une épopée triomphale à la gloire de son dirigeant Xi Jinping, déploie une diplomatie du vaccin très active. Pékin propose son vaccin CoronaVac (10 euros/dose) – plus classique puisqu’il injecte des souches du virus inactivées – à des pays auxquels elle souhaite imposer son hégémonie, les pays des nouvelles routes de la soie. Ainsi, l’entreprise chinoise Sinovac a vendu 40 millions de doses de vaccin à la ville de Sao Paulo, dont le gouverneur João Doria défend bec et ongle l’efficacité, alors que Bolsonaro en fidèle allié de Donald Trump le critique systématiquement.

Cette ruée vers le précieux sésame chinois que son dirigeant qualifie de « bien public mondial » à qui veut bien l’entendre s’explique par son prix, largement amoindri par les subventions du pouvoir central, et surtout par son accessibilité. Les autorités chinoises ont déjà vacciné plus de 60 millions de personnes sans pour autant avoir publié des données scientifiques ni s’être soumis à des expertises transnationales.

Moscou fait de même en promettant son vaccin Spoutnik V à une quarantaine de pays exclus des accords négociés par les grandes puissances. Poursuivant la logique expansionniste menée par Vladimir Poutine, la Russie adopte une position de sauveur envers ceux que le système mondial a oublié. Le gouvernement de Alberto Fernandez a par exemple déjà reçu 300 000 doses du vaccin russe, une exception dans la région puisque la plupart de ses voisins (Chili, Costa Rica, Mexique…) ont choisi le vaccin Pfizer.

L’Europe a été fidèle à ses valeurs en favorisant au printemps dernier l’initiative Covax pour que tout le monde ait accès au vaccin et pas seulement les pays riches. Les Chinois ont timidement rejoint l’initiative alors que Donald Trump est resté accroché à son unilatéralisme signant un décret qui statuait sur le fait que les citoyens américains seraient les premiers servis. Difficile à croire lorsqu’au lendemain de cette signature, le New York Times divulguait une information selon laquelle Trump avait manqué l’opportunité de commander 100 millions vaccins Pfizer.

Ces tensions sont assez regrettables, c’est un sujet sur lequel on aurait pu espérer une coalition transnationale pour lutter contre un fléau qui ne connait pas de frontière, qui n’a pas d’idéologie et qui s’attaque à tous. Une occasion manquée qui laissera des traces indélébiles à l’heure du bilan.

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