La défense européenne verrait-elle enfin le jour?
Une défense européenne indépendante, un projet de longue date.
Après la Seconde Guerre mondiale, les pays européens entament la construction européenne afin de rétablir la paix, de lutter contre leurs déclins et de renouer avec la prospérité. Cependant, ce projet d’Union européenne (UE) semble, sur certains points, difficile à concrétiser. Alors que la création de la Communauté Européenne de Charbon et d’Acier (CECA), mère de « l’Europe des six » (France, l’Allemagne, l’Italie, le Luxembourg, la Belgique et le Pays-Bas), se révélait être un véritable succès, l’échec de la Communauté Européenne de Défense (CED) fut retentissant. En effet, lorsque Jean Monnet proposa le « plan Pleven » (1950), la mise en place d’une armée européenne sous l’autorité d’un ministre de la Défense, « la querelle de la CED » explose.
Les positions des pays sur ce sujet polémique divergent. Le Royaume-Uni, détenteur de l’arme nucléaire, n’en voit pas l’utilité et refuse de s’engager. Les pays du Bénélux y tiennent particulièrement du fait de leur petite taille. L’Allemagne est désarmée depuis 1945. La France, même si elle en est à l’initiative, hésite. Finalement, le traité n’est pas ratifié : au dernier moment la France ne signe pas. Monnet est pour ce projet de défense européenne mais le Général De Gaulle, en pleine guerre d’Indochine, y est hostile. Après la mort de Staline en 1953, en l’absence de véritables menaces, le projet ne fut pas relancé. Enfin, la formation de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), la fin de la Guerre Froide et la pax americana ont définitivement enterré le projet d’une armée européenne indépendante. Les États-Unis, à cette époque les « gendarmes du monde », un allié de taille, assurait désormais la sécurité et la paix au sein des Etats.
Entre opportunités et volontés, le projet n’a jamais été en aussi bonne voie de concrétisation.
Néanmoins, aujourd’hui, nous pouvons constater un recul de l’interventionnisme international américain. Effectivement, les trois dernières présidences ont mené des opérations de retrait. En 2013, le président Obama fait marche arrière pour l’intervention militaire en Syrie. Durant son mandat, le président Trump a engagé un recul de la politique américaine à l’étranger prônant une idéologie isolationniste. Le président Biden a pris la décision, en août dernier, de retirer les forces militaires américaines d’Afghanistan après 20 ans de lutte contre le terrorisme. Ces retraits illustrent une volonté américaine de reconcentrer leurs interventions sur leur propre territoire et ceux limitrophes. C’est la raison pour laquelle, à long terme, l’OTAN, alliance guidée par les États-Unis, deviendrait de moins en moins puissante. Ce serait ici une véritable leçon à tirer pour l’Union européenne : initier la création d’une défense européenne indépendante des États-Unis.
En outre, la volonté de concrétiser ce projet de défense est très présente au sein de l’Union. Elle l’est au cœur des institutions européennes et parmi certains États membres majeurs. La présidente de la Commission européenne, Mme Von der Leyen, a souligné le manque d’investissement actuel dans la défense européenne. Elle a également déclaré qu’en cas de crise, la force militaire de l’UE devrait opérer indépendamment de l’ONU et de l’OTAN et qu’ « il est temps pour l’Europe de passer à la vitesse supérieure ». Mme Von der Leyen et le président français Emmanuel Macron convoquerons l’année prochaine un sommet des dirigeants sur la défense européenne. La ministre allemande de la Défense Annegret Kramp-Karrenbauer a donné raison à Mme Von der Leyen et affirme que « l’Allemagne et la France doivent jouer un rôle de premier plan » dans la concrétisation d’une véritable défense européenne.
Un projet polémique qui soulève des contradictions structurelles de l’Union Européenne.
Cependant, ce projet de défense européenne met en exergue plusieurs problèmes structurels datant des débuts de la construction européenne. Selon Béla Balassa, un économiste hongrois, les étapes d’une intégration régionale réussie sont : la zone de libre échange c’est-à-dire la suppression des barrières douanières entre pays membres, le marché commun libre c’est-à-dire la libre circulation des biens, services, personnes et capitaux, puis, l’union économique et monétaire avec la mise en place d’une monnaie unique (l’euro), et enfin, l’État fédéral. Même si des précurseurs parlaient déjà au XIXe siècle des « États-Unis d’Europe » comme Victor Hugo, les États membres ont toujours voulu conserver leur souveraineté et l’Union européenne reste bel et bien une Union économique et monétaire. C’est pourquoi le projet d’ une armée européenne sous l’autorité d’un ministre de la Défense européen pose un problème. Le projet touche aux fonctions régaliennes des États donc remet en cause leur fondement-même, leur légitimité. Puis, il menace aussi la souveraineté des États. Qui sera au commande de cette armée ? Qui détiendra le pouvoir exécutif européen ? À qui rendra-t-il des comptes ? Un Etat membre sera-t-il plus puissant et dirigera-t-il les autres ? Ces questions sont sources de tensions.
De plus, depuis quelques années, l’heure n’est plus tellement à la solidarité au sein de l’Union Européenne. En 2009, la Grèce s’est vu imposer une politique d’austérité par l’Allemagne et la France. En 2015, durant la crise migratoire, les États du sud comme l’Italie ou l’Espagne ont dû gérer en grande majorité les flux de migrants. Ce manque de solidarité mettrait encore plus à mal le projet d’une armée intervenant quel que soit le pays menacé.
Du reste, les récents événements de l’actualité comme la crise des sous-marins montrent bien que l’Union Européenne n’a pas les moyens de s’éloigner des États-Unis. Patrick Martin-Grenier, enseignant à Science Po Paris, spécialiste des questions européennes explique que même si « l’Europe réfléchit à une meilleure indépendance en terme de défense » et qu’elle souhaiterait être « moins dépendante des États-Unis sur la politique internationale », elle n’a pas les moyens de se fâcher avec les États-Unis. Il estime que l’Europe n’a pas la capacité d’être plus indépendante sur le plan stratégique. De plus, il ne pense pas que tous les pays membres souhaitent véritablement créer une force militaire européenne indépendante.