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Infrastructures : le colossal plan Biden sur la sellette ? par Gabriel Solans

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Gabriel Solans est doctorant en Civilisation américaine au sein du LARCA à l’Université de Paris sous la direction de François Vergniolle de Chantal, et travaille sur le Parti républicain américain.

Le 2 octobre, le président Biden était au Congrès devant le groupe des Démocrates de la Chambre des représentants afin de les convaincre de voter son vaste plan d’investissement dans les infrastructures, aujourd’hui en situation critique. Joe Biden a proposé en effet fin mars 2021 un plan de dépenses budgétaires monté à 4100 milliards de dollars sur dix ans, en deux parties, l’America Jobs Plan (infrastructures et climat) et l’American Families Plan (santé, éducation). Il vient d’essuyer un revers en ne parvenant pas à convaincre son aile la plus progressiste, compromettant ses chances de succès alors que sa popularité est en chute.

Durant l’été, la Maison Blanche a commencé à négocier avec le Congrès qui est habilité à voter l’allocation des dépenses budgétaires et la levée des recettes nécessaires. Elle disposait d’une marge de manœuvre très restreinte. En effet, le président Biden n’a qu’une majorité très restreinte de 4 sièges sur 435 à la Chambre des représentants, les Républicains ayant augmenté leur nombre de siège aux élections de 2020. Il dispose de plus d’une égalité au Sénat, qui peut être départagée par le vote de la vice-présidente Kamala Harris. En outre, dans un contexte de polarisation partisane de plus en plus tendu entre les deux partis, Biden avait pour ambition de faire participer le plus d’élus républicains possibles afin de séparer des centristes du noyau plus conservateur du Parti républicain.

En juillet il a par conséquent choisi une stratégie budgétaire dite à « double fourche », en séparant le projet en deux. D’une part il a soumis le projet sur les infrastructures physiques (routes et ponts notamment) qui suscite l’adhésion de nombreux républicains conservateurs et de l’électorat du Parti républicain. Ce projet d’un montant de 1200 milliards de dollars pouvait donc être recherché via un compromis bipartisan. Sur un autre plan, les Démocrates du Sénat ont choisi de faire passer les 3500 milliards de dollars de dépenses climatiques et sociales par une procédure dite de réconciliation. Moins populaires parmi l’électorat de droite et donc moins susceptibles de susciter le compromis, ces dépenses pouvaient provoquer un « filibuster », outil d’obstruction utilisé au Sénat de plus en plus souvent afin de bloquer une loi par un discours sans limites de temps. La procédure de réconciliation permet de voter un budget à la majorité simple de 50 sénateurs (avec la vice-présidente pour les départager) au lieu des 60 nécessaires, avec l’interdiction de l’usage du filibuster.

Le compromis bipartisan sur les infrastructures physiques a donc été trouvé à 69 contre 30 sur 100 sénateurs, avec 19 sénateurs républicains sur 50 et voté au Sénat le 10 août 2021, sur la foi de la poursuite en parallèle de la procédure de réconciliation pour les dépenses sociales. A ce stade, il devait ensuite passer à la Chambre des représentants pour devenir une loi. Mais fin août, la speaker démocrate Nancy Pelosi a promis à ses élus modérés que le vote du compromis bipartisan aurait lieu à partir du 27 septembre, pour s’assurer le vote à la Chambre d’une résolution autorisant la discussion sur le projet de 3500 milliards de dollars en réconciliation budgétaire. C’est ici que les problèmes ont commencé. L’interprétation du calendrier à venir a été mal interprétée par les différents mouvements du Parti démocrate.

Pour les progressistes du Congressional Progressive Caucus dirigé par la représentante Pramila Jayapal et soutenu notamment par Bernie Sanders (94 représentants sur 220 Démocrates en tout), l’aile gauche du Parti démocrate, le vote des deux parties du plan aurait lieu en même temps, tandis que pour les centristes le compromis bipartisan passerait d’abord, puis enfin les dépenses sociales. Mais parmi les 50 sénateurs démocrates, il se trouve deux démocrates conservateurs, Kyrsten Sinema (de l’Arizona) et Joe Manchin (de Virginie occidentale), qui sont de plus en plus réticents à voter avec les Démocrates. Ils ont décidé qu’ils ne voteraient pas le projet à 3500 milliards de dollars en réconciliation, du fait d’un montant trop élevé. Manchin a proposé d’en rester à 1500 milliards. Les deux posaient comme condition préalable le vote du compromis bipartisan sur les infrastructures physiques avant tout vote pour la réconciliation budgétaire au Sénat, ce que n’accepte pas la frange progressiste.

Tout a volé en éclat quand Nancy Pelosi a voulu faire passer le 27 septembre le compromis bipartisan à la Chambre, comme convenu, avec le refus des progressistes. Le 1er octobre, Joe Biden s’est rendu en personne à la Chambre des représentants pour tenter de réunir le Parti démocrate. Voulant concilier les deux bords, il a proposé que le montant des dépenses sociales soit bien moins élevé que 3500 milliards de dollars pour être accepté par les deux sénateurs démocrates réticents, mais que les deux projets soient votés ensemble, pour satisfaire l’aile progressiste.

Le plan démocrate d’ampleur historique sur les infrastructures est donc au point mort actuellement. Cela pose de sérieux problèmes pour le leadership de Joe Biden. Celui-ci s’est toujours présenté comme un négociateur hors pair, fort de sa longue expérience de sénateur. Un échec affaiblirait donc considérablement sa présidence, ainsi que sa popularité en vue des élections de mi-mandat (les midterms) de 2022. Des signes avant-coureurs laissaient entrevoir le problème actuel. Les deux sénateurs réticents avaient prévenu dès l’été le chef de la majorité démocrate au Sénat, Chuck Schumer, qu’ils ne voteraient jamais 3500 milliards de dollars pour la réconciliation budgétaire. En outre, le Parti républicain devenait de plus en plus divisé sur le vote du compromis bipartisan BIF (Bipartisan Infrastructure Framework) et il y a fort à parier que les progressistes ont exploité cette réticence pour donner de la voix, sentant le compromis fragile. Quelques semaines auparavant, l’aile droite du Parti républicain avait réussi à convaincre le chef de la minorité républicaine à la Chambre des représentants, Kevin McCarthy, de faire voter contre le projet. Il ne restait donc qu’une dizaine de Républicains centristes désirant voter pour le projet, qu’ils avaient participé à construire.

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