Le Honduras est-il un narco-Etat?
Le 27 janvier 2022, une nouvelle présidente prenait ses fonctions au Honduras. Première femme de l’histoire du pays à diriger, elle hérite d’un système politique que certains dénomment “narco-Etat”. Le crime organisé y détiendrait une influence croissante.
Qu’est-ce qu’un narco-Etat?
L’idée de “paix narcotique” sous-entend l’installation de relations entre organisations criminelles et institutions étatiques. Ces vingt dernières années, c’est à cette tendance non transparente qu’ ont répondu les pays du Triangle du Nord (le Guatemala, le Honduras et le Salvador). Les gouvernements tolèrent, voire protègent, certains réseaux criminels ainsi que leurs dirigeants. En échange, ces derniers s’engagent à réduire les violences liées à la gestion de leurs marchés illicites et font preuve de générosité monétaire. Ces accords peuvent être explicites ou tenus au secret. Au Salvador, par exemple, le président Bukele a récemment organisé la tenue de négociations secrètes. Elles se tinrent en prison avec des leaders de gangs criminels.
Ces accords entre État et crime organisé restent cependant vulnérables aux aléas démocratiques. Ils requièrent, pour commencer, la création régulière d’alliances. Au Honduras, en cas de renouvellement présidentiel, cela équivaut à de nouveaux arrangements tous les 4 ans. Un président se doit, d’autre part, de respecter les demandes de ces citoyens. Des demandes qui ne correspondent pas toujours aux intérêts des gangs.
Au Honduras, le crime organisé prend ses aises
Au Honduras, ce système d’arrangement s’est approfondi sous la présidence de Juan Orlando Hernández. Arrivé au pouvoir en 2014, il obtint, un an plus tard, la possibilité d’un second mandat. Chose impossible jusqu’alors, l’opportunité vint d’un amendement de la cour suprême. Depuis, les accusations de collision entre Juan Orlando Hernández et le crime organisé fleurissent. Tout commença par une réélection contestée en 2017, qualifiée de “frauduleuse” par l’opposition. En 2019, de nouveaux soupçons furent portés par le tribunal de New York quant au financement de sa campagne présidentielle, en 2013. Depuis cette intervention américaine, l’ancien président affirme n’avoir reçu aucun fonds lié au trafic de drogue. Cette nouvelle déclencha néanmoins une vague de protestations dans le pays, empreinte de chants demandant sa destitution. Plusieurs procureurs généraux américains appuient tout de même la thèse d’un pouvoir étatique sponsorisant le trafic de drogue.
Mais si les preuves manquent pour accabler Juan Orlando Hernández, tel n’est pas le cas de son frère. En 2019, Juan Antonio Hernández, fut condamné à perpétuité pour l’importation de 185 tonnes de cocaïne aux Etats-Unis, un marché égalant à 12 milliards de dollars américains. Il fut notamment déclaré coupable d’avoir offert, au crime organisé, d’importantes informations militaires quant aux déplacements navals et aériens. Il est également accusé d’avoir reçu 1 milliard de dollars de la part de Joaquin Guzmán (El Chapo) pour la campagne présidentielle de son frère.
Élections et instabilités politiques
C’est dans ce contexte démocratique fragilisé que Xiomara Castro a été élu à 60% des votes. Une élection historique et sans heurt qui a récemment laissé place aux tumultes des élections parlementaires. Vingt membres de son parti politique ont ainsi choisi de soutenir Jorge Calix comme nouveau président du parlement. Ces derniers avaient au préalable passé un accord avec un autre parti de gauche, le Parti sauveur du Honduras, et boycotté la demande de Mme Castro de soutenir le député Luis Redondo. Bien que M. Calix eut regroupé 83 votes de députés sur 128 (il en faut 65 pour être élu), Xiomara Castro se présenta auprès de Luis Redondo et renvoya de son parti les vingt députés en question. Ces derniers acceptèrent de reconnaître Luis Redondo pour le poste, en échange de leur réintégration au parti.
Le chef du Parti Libre dénonça ainsi à l’AFP « le crime organisé, le pouvoir financier, le narcotrafic et tous ceux qui pillent les ressources de l’Etat» derrière les agissements de ces vingt députés. Si ces faits ne sont pas prouvés, on peut s’attendre à l’influence continue de ces groupes sur la scène politique du pays. Les amendements légaux, entamés par son prédécesseur, en facilitent la tâche. En juin 2020, le nouveau Code pénal entrait ainsi en force. De nouvelles dispositions y simplifient la réduction de pénalités pour toute figure politique ayant eu des liens avec le crime organisé, notamment en matière de corruption.
Un héritage empoisonné
Xiomara Castro, qui promet la réforme du pays et la mise en place d’un “État socialiste et démocratique”, doit ainsi faire face à l’influence enracinée du crime organisé. Ces groupes criminels profitent d’une économie désespérée (la dette publique s’élève à 15,2 milliards d’euros), d’une insécurité alimentaire croissante et d’un système policier corrompu. En février 2021, l’ONG Care prédisait, en effet, qu’une personne sur trois souffrirait de faim dans les 6 mois. La Covid-19, les tempêtes tropicales et sécheresses liées au changement climatique sont autant de facteurs accroissant les inégalités et la vulnérabilité des citoyens aux groupes criminels. Un véritable challenge pour le nouveau gouvernement en place, qui s’ajoute aux défis politiques, notamment liés au manque de majorité au parlement.
Sources
Has Honduras become a ‘narco-state’?
Honduras ex-police chief faces US drug trafficking charges
Au Honduras, l’élection du président du Parlement tourne au fiasco
Présidentielle au Honduras : la droite au pouvoir reconnaît la victoire de Xiomara Castro
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Diplomatie, Les Grands Dossiers n°65, « L’Etat des conflits dans le monde », Décembre 2021-Janvier 2022