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“Le franc CFA est une assurance contre le chaos financier, pas contre la mauvaise gestion” – 2ème partie

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Deuxième partie de cet entretien avec Loup Viallet, spécialiste de l’économie et de la géopolitique africaine. Son dernier livre, La fin du franc CFA, a été publié chez VA Éditions en octobre 2020.  

 

Fabien Herbert : Pensez-vous que le Franc CFA doit continuer à « survivre » et qui y aurait le plus intérêt, les États africains ou la France ?

Loup Viallet : D’abord, une précision. Un abandon du franc CFA déboucherait inéluctablement sur la dollarisation totale du continent africain. Les pays membres de la zone franc troqueraient une devise stable et crédible qu’ils administrent localement contre une monnaie ingouvernable, inconvertible, dont la valeur varierait en fonction des fluctuations du dollar et des matières premières. Ce serait la fin des deux marchés communs de la zone franc, le recul des investissements étrangers, l’augmentation des denrées locales et des produits étrangers. Le chaos financier d’un pays sur trois en Afrique subsaharienne est une menace pour la stabilité continent africain et pour la sécurité de son voisin direct, le continent européen.

Dans le contexte actuel, qui est encore largement marqué par la crise financière et sanitaire provoquée par la pandémie de Covid-19, le franc CFA sert de filet de sécurité aux pays africains contre la recrudescence de l’inflation d’origine monétaire. Dans les premiers mois de la pandémie, le repli de la demande mondiale en pétrole a fait chuter le pouvoir d’achat en biens et services de toutes les monnaies dépendant de la rente pétrolière. En Afrique, le naira nigérian a par exemple perdu 40 % de sa valeur, provoquant une crise financière aigue. A contrario, les pays-membres de la zone franc dont les économies sont aussi très liées à la rente pétrolière, comme le Gabon, le Cameroun, le Congo-Brazzaville, ont continué à bénéficier d’un franc CFA stable, dont la valeur n’a pas bougé, car il est encore garantit par la France.

Mais disposer d’une parade contre les crises financières, c’est aussi jouir d’un paravent qui dissimule la mauvaise gestion. Les gouvernements qui se reposent sur la qualité de leur monnaie pour placer leurs économies sous pilotage automatique et importer massivement des biens et services de partout dans le monde sans chercher à structurer leurs marchés intérieurs sont encore trop nombreux. Quels progrès substantiels ont-ils été accomplis ces trente dernières années par l’UEMOA et par la CEMAC ? Leurs politiques régionales sont encore timides, leurs tarifs douaniers ne sont pas encore harmonisés, leur politique fiscale commune est inexistante. Pour que leurs marchés communs soit efficaces et ne dépendent pas uniquement de la demande extérieure en matières premières, s’appuyer sur une monnaie commune ne suffit pas, aussi crédible soit elle. Des réformes sont nécessaires. En leur absence, maintenir la coopération monétaire franco-africaine n’a plus de sens. La France n’a aucun intérêt à soutenir la monnaie de gouvernements qui ne font aucun effort pour atteindre des objectifs qu’ils se sont eux-mêmes fixés. Elle n’a pas non plus intérêt à laisser bénéficier de sa garantie financière les dirigeants qui, après l’avoir accusée de néocolonialisme, ont fait le choix souverain de continuer à adhérer aux institutions de la zone franc.

Fabien Herbert : Quel avenir voyez-vous pour cette monnaie et pour la coopération franco-africaine ?

Loup Viallet : Alors qu’elle traverse une crise de confiance sans précédent, la coopération franco-africaine mériterait une grande clarification. C’est-à-dire exactement l’inverse de ce qui est en train de se passer, qui me semble accroître la confusion à propos de cette monnaie.

D’un côté, la réforme du franc CFA d’Afrique de l’Ouest en éco devrait intervenir après la crise du Covid. J’ai expliqué ailleurs en détails à quel point celle-ci allait accroître les défauts du franc CFA[1] : en sus du changement du nom de la monnaie, cette réforme vise à maintenir la garantie financière de la France en supprimant toutes les contreparties auxquelles s’engageaient les pays africains. La France va devoir équilibrer une monnaie sur laquelle elle n’aura aucun droit de regard et se retrouvera comptable de déficits qu’elle n’a pas creusés. Cette évolution ne permettra pas un meilleur usage de la coopération monétaire de la part des gouvernements africains. On organise leur irresponsabilité.

Pire encore pour la clarté du débat : cette réforme sera portée par des individus qui se sont fait connaître en attaquant l’ancien système. L’économiste togolais Kako Nubukpo, qui a fustigé à travers livres et plateaux de télévision la « servitude monétaire » du franc CFA, vient d’intégrer la commission de l’UEMOA le 15 avril dernier, devenant l’un des dirigeants du franc CFA en Afrique de l’Ouest.

 

[1] Loup Viallet, « Pourquoi l’éco sera pire que le franc CFA », Le Journal de l’Économie, le 29.02.2020 https://www.journaldeleconomie.fr/Pourquoi-l-eco-sera-pire-que-le-franc-CFA_a8258.html

 

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