La mort de Castro: quels enjeux pour Cuba?
Interrogé sur les conséquences de la mort de Fidel Castro, Jean Mendelson, alors ambassadeur de France en poste à Cuba répond : « Pendant des décennies, chacun se demandait le jour de la mort de Fidel. Maintenant, on ne se pose plus la question, car on sait enfin ce qui se passera : on organisera des funérailles »[1]. L’ambassadeur nous rappelle en creux que Cuba a tenu une place hors norme dans le monde. Le petit pays insulaire de 11 millions d’habitants est parvenu à se maintenir à contre-courant en dépit d’un contexte international particulièrement défavorable. La mort du père de la Révolution questionne la place de Cuba sur le nouvel échiquier mondial.
– Sur le plan économique : poursuivre la transition vers une économie libérale ?
Dans une interview accordée à la presse américaine en 2010, Fidel Castro avait admis la faillite du système économique, largement affaibli depuis la chute de l’URSS, principal allié de Cuba : « Le modèle cubain ne marche même plus pour nous ». Depuis, le régime s’est engagé progressivement vers un modèle de modernisation et d’ouverture de son économie. La loi de modernisation de l’économie cubaine portée par Raul Castro en Juin 2014 favorise les investissements étrangers sur l’île. Ils s’élèvent désormais à 12% du PIB et l’objectif affiché par les autorités cubaines est d’atteindre 20% du PIB [2]. Progressivement, le régime assouplit ses règles fiscales et attire les grands groupes étrangers (Bouygues, Unilever, Pernod Ricard). Le gouvernement a même favorisé l’émergence d’un entrepreneuriat local et entend développer progressivement le secteur privé. Sur le plan énergétique, Cuba est conscient de sa fragilité liée à sa dépendance aux importations d’hydrocarbures notamment en provenance du Venezuela (dans le cadre des accords Petrocaribe, signés en 2005 avec Caracas, visant à approvisionner Cuba en pétrole à tarif préférentiel contre un échange de médecins cubains déployés au Venezuela). Aussi, le gouvernement a entrepris une réorientation de sa politique énergétique, fortement axée sur les renouvelables et déploie depuis peu 100 stations éoliennes dans 11 provinces dans le pays. A Cuba, la révolution est aussi énergétique [3].
– Sur le plan social : la nécessité de préserver le modèle social cubain
La révolution cubaine a considérablement développé les secteurs de l’éducation et de la santé. Pour l’éducation, Castro a développé un système scolaire centralisé, gratuit pour tous. Selon le PNUD, Cuba se situe au troisième rang mondial avec un taux d’alphabétisation de 99,8%, loin devant les Etats-Unis (93,3%). Sur le secteur de la santé, Cuba affiche également des chiffres exceptionnels. Dès son arrivée au pouvoir en 1959, Fidel Castro a fait inscrire la gratuité de la santé dans la Constitution. Depuis, le régime s’est attaché à développer un système de santé d’excellence par le biais d’investissements conséquents dans la recherche et un accès aux soins. Le pays présente des taux de mortalité infantile parmi les plus bas d’Amérique latine et envoie ses médecins au Brésil, en Argentine ou encore au Venezuela. En 2016, Cuba affiche toujours un IDH supérieur à celui du Brésil, de l’Inde, de la Chine. Un des enjeux de la transition cubaine sera de préserver les acquis de ce modèle.
– Sur le plan politique : un pays à réconcilier avec lui-même
Fidel Castro a officiellement quitté le pouvoir en 2006 pour céder la place à son frère Raul. Cependant, la mort de Castro lance une véritable incertitude sur l’avenir politique de Cuba, tant le régime n’est semblable à aucun autre. Jean Mendelson le rappelle : « (…) Ni démocratie représentative, ni dictature. Cuba n’a jamais été une démocratie parlementaire, ce n’est pas un vrai Etat de droit (…). Mais ce système n’est pas comparable avec les dictatures latino-américaines encore présentes dans nos mémoires ». Si les oppositions au régime ne sont pas nécessairement représentées dans l’appareil politico-institutionnel, elles sont pourtant bien présentes, avec les Cubains de la diaspora de Miami, représentant entre 600 000 et 1 million de personnes, véritable foyer de contestation anticastriste et lobby d’influence sur la politique américaine militant pour un durcissement de l’embargo. Le départ du pouvoir de Raul en 2018 pourrait engendrer une transition politique, dans un pays encore meurtri par l’embargo.
– Sur le plan diplomatique : repenser les relations avec l’Amérique de Trump
L’élection récente de Donald Trump à la Maison Blanche ouvre une période d’incertitude quant aux relations entre Cuba et les Etats-Unis. Barack Obama avait initié un rapprochement avec Raul Castro en Décembre 2014, en rétablissant les relations diplomatiques avec Cuba. Le 20 Mars 2016, Barack Obama fait même une visite officielle à Cuba, une première depuis 1928. Trois jours après la mort de Fidel, Trump annonce sur twitter que les Etats-Unis mettraient fin au dégel des relations avec Cuba si le gouvernement ne donnait pas plus de contreparties en matière de droit de l’homme ou d’ouverture économique [4]. La méthode diffère par rapport à son prédécesseur, mais l’objectif à terme reste identique : accentuer les pressions sur le régime afin de reprendre la mainmise sur Cuba, que Castro leur avait confisquée depuis près de 60 ans.
[1] Mendelson, Jean, « Fidel Castro a donné à Cuba une place hors norme dans le monde », Huffington Post, 29 Novembre 2016, Entretien en ligne
[2] Gaymard, Véronique, « Mort de Fidel Castro : quel héritage économique et social pour Cuba ? », RFI, 26 Novembre 2016, Article en ligne
[3] Guevara-Stone, Laurie, « La Révolution Energétique à Cuba », article traduit du Renewable Energy World, le 16 Août 2009, Article en ligne
[4] Allegri, Carlo, « Donald Trump menace de mettre fin au rapprochement sans contreparties avec Cuba », Huffington Post, 28 Novembre 2016, Article en ligne