ActualitésAmérique

Opération Harpie : un combat sans fin ?

Shares

Depuis 2008, l’opération Harpie mobilise 1000 soldats afin de lutter contre l’orpaillage illégal en Guyane. Forêt amazonienne dévastée, cours d’eau détruits, populations menacées et contaminées, l’extraction illégale d’or est le principal fléau social, sanitaire et environnemental qui menace la Guyane.

Trois militaires ont trouvé la mort lors de l'opération Harpie en juillet
Edgar Roellinger, Cédric Guyot et Mickaël Vandeville ont trouvé la mort lors d’une mission de l’opération Harpie. Crédits : Armée de terre.

Dernier bout de terre français et européen d’Amérique du sud, la Guyane subit, depuis les années 1990, une nouvelle ruée vers l’or. Si des gisements d’or sont présents sur presque tous les continents, l’Amérique du Sud figure parmi les plus gros bassins d’extraction d’or. La gigantesque forêt amazonienne, qui s’étend sur neuf pays – dont la Guyane –, possède de nombreuses ressources aurifères. En outre, en Amazonie, l’extraction à petite échelle, informelle ou illégale, est majoritaire. Pour lutter contre la présence des 10 000 garimpeiros (chercheurs d’or clandestin) en forêt guyanaise, l’État français a, depuis 2008, lancé l’opération Harpie.

Qu’est-ce que l’opération interministérielle Harpie ?

Lancée officiellement par Nicolas Sarkozy en février 2008, Harpie est une opération interministérielle et interarmées. Elle succède à l’opération “Anaconda” (2002-2004) et aux opérations mixtes du protocole “Toucan” (2004-2008). Elle est pilotée par le préfet de la région Guyane et le procureur de la République dans le cadre de la lutte contre l’orpaillage illégal (LCOI). Cette mission intérieure est conduite conjointement par la Gendarmerie et les forces armées de Guyane (FAG). D’autres services de l’Etat font également partie du dispositif, comme les douanes, la police aux frontières, l’Office national des forêts (ONF), la Direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DEAL) et le Parc amazonien de Guyane (PAG).

Le volet répressif de la LCOI a pour objectif – à défaut de pouvoir stopper définitivement l’orpaillage illégal – de diminuer la rentabilité de la production d’or des garimpeiros. Le préfet de Guyane avait fixé à cet effet plusieurs axes de lutte :

  • La destruction des sites et des moyens de production – comme les concasseurs ou le mercure – servant à l’extraction aurifère illégale ;
  • L’identification, la paralysie et la désorganisation des flux logistiques d’approvisionnement ;
  • L’identification et la condamnation des auteurs de crimes et de délits ;
  • La remise en état des sites concernés.

De relatifs bons résultats sur dix ans

Lors du lancement de l’opération en 2008, l’orpaillage illégal connaissait un regain d’intensité. Il y avait alors 535 sites d’orpaillage illégal. On en comptait encore 493 en 2013, puis 228 en 2015 et 160 en 2016. Cette baisse spectaculaire atteste de la réelle réussite de la LCOI. De même, plus de 26 millions d’euros d’avoirs criminels ont été saisis en 2018, ce qui correspond à une hausse de 81% par rapport à l’année précédente. L’opération a permis la destruction de 765 sites d’orpaillage illégal pour la seule année 2018. Les militaires ont mené 1323 patrouilles et ont saisi et détruit un nombre conséquent de matériels.

La dernière mission de survol de la zone a cependant recensé 132 sites aurifères illégaux. C’est dix de plus que lors de la précédente reconnaissance, fin août 2018. Ce sont les chiffres les plus élevés des onze dernières années. Le principal point faible de la lutte contre l’orpaillage illégal reste la saisie d’or. En 2017, année noire pour la LCOI, 3 kg d’or auraient été officiellement saisi sur les sites illégaux. Or, selon WWF, 10 à 12 tonnes d’or illégal sont exfiltrées chaque année de Guyane. Cela représente dix fois la production légale.

Des dégâts environnementaux importants

La déforestation massive due à l’orpaillage illégal inquiète les défenseurs de l’environnement. Selon une étude coordonnée par WWF et l’ONF International, 157 000 hectares de la forêt amazonienne ont été détruits entre 2001 et 2015 dans le cadre de l’exploitation aurifère. 72% de cette disparition a eu lieu entre 2008 et 2015, principalement au Suriname et au Guyana, des pays frontaliers. Plus de 17 000 hectares de la forêt amazonienne ont été rasés au cours de la seule année 2015. WWF estime qu’en plus de détruire l’écosystème, ce phénomène conduit chaque année à la libération d’environ 200 000 tonnes de carbone dans l’atmosphère.

Par ailleurs, l’activité aurifère illégale nuit également gravement à la santé humaine. Le mercure, utilisé pour amalgamer l’or, est un polluant hautement nocif qui s’accumule dans les milieux naturels. Lorsqu’il intègre les milieux aquatiques, il se transforme en méthylmercure, un neurotoxique puissance. Ce dernier va alors contaminer toute la chaîne alimentaire jusqu’à l’homme. Dans les régions aurifères, la contamination des populations locales est 1,5 fois supérieur au seuil jugé tolérable par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Le rapport de WWF estime que 5 840km de cours d’eau ont été détruits par l’extraction intensive et illégale. A ce jour, il n’existerait presque plus aucun cours d’eau sain en Guyane. Cela entraîne des problèmes sanitaires comme le développement du paludisme dans la région.

Un lourd bilan humain

En outre, l’opération a un coût humain. Cette mission intérieure a coûté la vie à huit militaires depuis 2008, et des dizaines d’autres ont été blessés. En 2012, deux militaires du 9e régiment d’infanterie de marine (Rima) avaient été tués par des orpailleurs clandestins. En décembre 2017, un soldat était touché par un tir de sa propre arme. Un accident de la route emportait en août 2018 un militaire du 3e régiment étranger d’infanterie (REI). Enfin, en juillet 2019, le sergent-chef Edgar Roellinger, le caporal-chef de 1re classe Cédric Guyot, et le caporal-chef de 1re classe Mickaël Vandeville, du 19e régiment du génie de Besançon, ont été victimes d’émanations toxiques au fond d’une galerie, alors qu’ils s’apprêtaient à y disposer des charges explosives pour détruire les installations souterraines des orpailleurs.

Enfin, aucun des pays concernés ne bénéficient d’une contrepartie, puisque les garimpeiros exfiltrent systématiquement l’or du territoire. Cela grève le développement économique du territoire. L’écotourisme subit de plein fouet la déforestation, la filière minière assiste au pillage de la ressource aurifère. Cette activité illégale concourt également au développement de réseaux de criminalité, comme la prostitution ou le trafic de drogue. Il faut à cela ajouter le coût de la répression pour l’État français.

Pour une lutte sans fin ?

Si l’opération Harpie a prouvé son utilité et son efficacité, elle n’a jamais permis jusqu’alors d’éradiquer le phénomène de l’orpaillage illégal. Les garimpeiros conservent une capacité de nuisance importante. Ils profitent des moindres failles du dispositif de la LCOI pour regagner en vitalité. Ainsi, en 2017, les grèves massives en Guyane avaient obligé les FAG et la gendarmerie à réorienter leurs activités. Cette période de grèves a coïncidé avec un regain d’activité des orpailleurs illégaux.

D’autant que les forces en Guyane se mobilisent pour d’autres opérations, comme la sécurisation du centre spatial guyanais (opération Titan) ou le maintien de la sécurité dans la zone de responsabilité permanente unique Caraïbes (ZRP) et la lutte contre la pêche illégale.

Surtout, la France demeure isolée dans la lutte qu’elle mène contre les garimpeiros et le trafic mafieux qu’ils génèrent. Les institutions environnementales comme les habitants guyanais réclament depuis plusieurs années une coopération transfrontalière entre les autorités guyaniennes, surinamaises, brésiliennes et françaises pour mettre en place des mesures judiciaires communes. En vain à ce jour.

Shares

Solène VIZIER

Solène Vizier est diplômée d’un Master 2 Etudes Stratégiques. Passionnée de géopolitique, ses domaines de spécialisation concernent les mondes hispanophone et russophone, le désarmement nucléaire et la géopolitique du sport. Elle est rédactrice aux Yeux du Monde depuis avril 2019.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *