La Nouvelle-Calédonie ou le Caillou gaulois sur terrain de jeu anglo-américain (6/7)
Après une décennie post-11 septembre à focaliser son attention stratégico-militaire au Moyen-Orient, en 2011, l’administration Obama présente sa stratégie de pivot vers le Pacifique. Il s’agit pour les États-Unis de renforcer leur présence militaire face à la montée en puissance de la Chine. Pour cela, ils comptent sur leurs alliés indéfectibles que sont le Japon, la Corée du Sud et l’Australie. En effet, ils prévoient de coopérer d’autant plus étroitement avec ces derniers, face à ladite menace chinoise. C’est à l’aune de cet élément qu’il faut désormais également analyser la question de l’accession ou non de la Nouvelle-Calédonie à l’indépendance, et ses conséquences sur le long terme dans les rapports de force qui se jouent dans la région, notamment entre la France et les États-Unis.
La Chine ou l’épouvantail d’Asie-Pacifique
Les États-Unis, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Corée du Sud, le Japon, la République populaire de Chine, et la France par ses possessions néocalédoniennes, sont les principales puissances présentes dans la région Asie Pacifique. À cette liste, nous pourrions encore ajouter l’Inde. Celle-ci a d’ailleurs rejoint le Dialogue quadrilatéral pour la sécurité (QUAD) qui fédère l’Inde, l’Australie, le Japon et les États-Unis. Sa mise sur pied se justifia par la volonté de répondre aux velléités expansionnistes de la Chine, à travers le Pacifique.
Toutefois, en termes de production industrielle et technologique de haute valeur ajoutée, seules la Corée du Sud, le Japon, l’Australie et la France sont capables, en l’état, de concurrencer les États-Unis. En ce sens, ladite menace chinoise et nord-coréenne permet aux États-Unis d’exercer une influence dominante dans la région, par son rôle de protecteur. Ce dernier leur assure un alignement stratégique sur leur politique étrangère, quasi sans faille. En ce qui concerne Paris et Canberra, nous le verrons ultérieurement, c’est une autre histoire.
Chine, soft power et guerre hors limites
Aussi, en termes de soft power, des nations comme la Corée du Sud ou le Japon sont-elles bien plus en avance que la Chine. La pop culture coréenne ou encore le Cool Japan s’exportent dans le monde entier. Si bien que l’industrie filmique coréenne rivalise avec l’industrie hollywoodienne. En effet, la République de Corée ne ménage pas ses efforts pour conquérir le marché culturel américain. Leurs vedettes nationales ont d’ailleurs pris place dans certains « blockbusters » (ou superproductions) américains. Alors que de leur côté, les Étasuniens s’attèlent, sans relâche, à garder une influence culturelle de poids en Corée. En 2007, Séoul et Washington signèrent un accord de libre-échange. La conclusion de ce dernier fut conditionnée, par la Maison-Blanche, à l’ouverture du marché coréen aux productions filmiques américaines.
Aussi, à l’heure actuelle, les chaînes de production se sont mondialisées. La division du travail se joue à l’échelle internationale, et les champs d’activités de la société se sont hautement différenciés. De ce fait, un État ne peut plus compter exclusivement sur son appareil militaire pour imposer ses vues. Ce serait là pour lui, à long terme, la défaite assurée. Nous sommes aujourd’hui, à l’ère de la guerre hors limites. En d’autre termes, il n’existe plus de limite entre ce qui peut être considéré ou non comme une arme. Tout comme il n’en existe plus non plus entre ce qui peut être considéré ou non comme étant un champ de bataille. L’ensemble des sphères d’activités de la société, qu’il s’agisse du secteur militaire, mais également des domaines diplomatique, économique, technologique, académique, monétaire, culturel, artistique, informationnel etc… peuvent faire office de fer de lance ou de terrain d’affrontement, dans la cadre de la guerre économique au sein de l’économie mondialisée.
Hightech japonais vs hardpower chinois
Les Japonais ont davantage compris le concept de guerre hors limite que les Chinois. Cela, alors que paradoxalement ce sont deux caporaux chinois qui ont élaboré cette théorie. Depuis la fin du militarisme japonais en 1945, les Japonais se sont transformés en guerriers économiques. Dans le monde de l’après-guerre, c’est cette fois-ci uniquement par leur tissu économique qu’il ont reconquis le monde, à l’instar de l’Allemagne. Le Japon a misé sur ses entrepreneurs et non plus sur ses généraux et ses soldats, ayant compris qu’il valait mieux se tourner vers la recherche et la technologie de pointe. En effet, il est bien plus efficace de passer des ordres en bourse ou de cesser l’approvisionnement de produits hautement indispensables, plutôt que de recourir à la canonnière. En cela, le Japon est infiniment plus puissant que la Chine. Pour cause, l’incident du 7 septembre 2010, dans les îles Senkaku, entre la Chine est le Japon, exemplifie cela de manière flagrante.
Terres rares chinoises vs matière grise japonaise
Officiellement, c’est le Japon qui est souverain sur les îles Senkaku. La Chine continue toutefois à revendiquer sa souveraineté sur celles-ci. Le 7 septembre 2010, un chalutier chinois s’aventura à proximité de cet archipel nippon. Il refusa d’obtempérer malgré les avertissements de la garde-côtes japonaise. Le capitaine d’embarcation chinois alla jusqu’à envoyer volontairement son vaisseau percuter ces derniers. Il fut donc arrêté. En réaction, dès le 22 septembre, l’ensemble des entreprises chinoises cessèrent toutes livraison de terres rares, à destination du Japon. Cela, spontanément, sans que Pékin n’ait eu besoin de donner de quelconques instructions. Ce qui mettait le Japon en grande difficulté. En effet, les terres rares chinoises sont indispensables à la fabrication de produits de hightech made in Japan.
En symétrie, toutefois, les importations de produits japonais de haute technologie sont tout aussi précieux pour la Chine. Incapable qu’elle est, pour l’heure, d’en produire. La Chine revint alors rapidement sur sa décision. Dans le cadre d’un bras de fer tel que celui-ci, le Japon a clairement démontré sa supériorité sur la Chine.
Certes, cet incident ne fut pas sans causer une panique sur les marchés des métaux rares. Il fut, cependant, davantage une démonstration de capacité de nuisance, qu’une affirmation de puissance de la part de la Chine. Il s’agit en quelque sorte d’un acte de terrorisme économique désespéré. Une prise de décision sans grande réflexion stratégique à long terme qui est l’apanage du faible face au plus fort. Cet événement ne remit nullement en cause les rapports de force au sein de l’économie mondialisée, sur le long terme.
Rappelons que, consécutivement aux attentats du 11 septembre, les bourses américaines ont fermé durant cinq jours. Ce qui causa un grand déficit de confiance de la part des investisseurs, sur les marchés internationaux. Sur le long terme, cela n’a toutefois pas eu de conséquence significative sur l’économie mondiale. Les États-Unis sont encore la première puissance mondiale, et leur dollar leur permet toujours d’extraterritorialiser leur droit.
Le grand marché chinois
Certes, en termes de produit intérieur brut (PIB), on arguera que la Chine se place aujourd’hui en deuxième position, derrière les États-Unis. C’est toutefois, là, considérer les choses sous un angle strictement quantitatif. Son importante population lui permet certes de réaliser une production à grande échelle. Cependant, que ce soit autant en terme de PIB par habitant ou en terme de valeur ajoutée au sein des chaînes de production internationale, la Chine est encore loin derrière le Japon. La montée en puissance de la Chine est très relative. Si elle menace la prédominance américaine au sein du Pacifique, cela tient surtout à sa capacité à être un débouché commercial en mesure d’absorber les marchandises high tech des puissances économiques présentes dans le Pacifique, soit la Corée du Sud, Taïwan et le Japon. En d’autres termes, les concurrents économiques des Américains.
En ce sens, un rapprochement diplomatico-commercial de ces derniers vis-à-vis de Pékin les éloigneraient par-là même, de Washington. Les États-Unis perdraient alors leurs relations privilégiées avec ces derniers ainsi que son influence prédominante en Asie Pacifique, et deviendraient aux yeux de ces États un partenaire commercial comme un autre. D’ailleurs, pour la plupart des pays membres de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN), la Chine est leur premier partenaire commercial.
Néanmoins, il y a un autre acteur en capacité de rivaliser économiquement, militairement et diplomatiquement, au sein du Pacifique, avec les États-Unis. C’est la France.
La Chine encombrante, la France de trop
En effet, dans cette région du monde, celle-ci est un adversaire économique bien plus sérieux que la Chine. Non pas pour ce qui la différencie des États-Unis sur le plan politique, économique, culturel ou idéologique, mais précisément pour ce qui la rend similaire à ces derniers. En ce qui concerne la France, 90 % de sa zone économique exclusive est localisée au sein de l’Indopacifique. À cela s’ajoute le fait que Washington ne peut pas compter sur un alignement militaro-stratégique de la France aussi étroit que celui qu’il obtient de puissances militaires moyennes voire faibles que sont la Corée, le Japon, l’Australie ou encore les dragons asiatiques. Elle bénéficie encore d’une relative autonomie stratégique dont ne peuvent plus véritablement se prévaloir ni le Japon, ni la Corée du Sud, ni l’Australie et encore moins Taïwan.
La volonté française de rester une puissance militaire autonome vis-à-vis des Américains n’est d’ailleurs pas nouvelle. Elle avait conduit à ce qu’à partir du 31 mai 1961, jusqu’à la fin du mandat du Général de Gaulle, en 1969, aucun président n’établisse le moindre contact avec ce dernier. Rappelons-nous aussi encore du refus français de prendre part à la guerre en Irak en 2003. Cette rivalité militaro-économique franco-américaine, y compris au sein du Pacifique, est donc très ancienne. La crise des sous-marins australiens, en septembre 2021, n’a fait que remettre ce fait en saillance. Depuis lors, en effet, l’expansion militaire spectaculaire de la Chine a permis à l’alliance Australie, Royaume-Uni et États-Unis (AUKUS) de diminuer drastiquement l’influence française, au profit des États-Unis, au sein de l’Indo Pacifique.
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Sources
- Dayez-Burgeon, Pascal, 2019, Histoire de la Corée: des origines à nos jour, Tallandier
- Heisbourg, François, 2001, Hyperterrorisme : la nouvelle guerre, Ed. Odile Jacob
- Jauvert, Vincent, 2000, L’Amérique contre de Gaulle, histoire secrète (1961-1969), Ed. du Seuil
- Laïdi, Ali, 2016, Histoire mondiale de la guerre économique, Perrin
- Liang, Qiao & Xiangsui, Wang, 2003, La Guerre hors limites, Editions Payot & Rivages
- Pitron, Guillaume, 2023, La guerre des métaux rares: la face cachée de la transition énergétique et numérique, Ed. Les Liens qui libèrent
- Reich, Robert, 1993, L’économie mondialisée, Ed. Dunod